VICTOR TRYOËN : HOMMAGE AUX PROFESSEURS DISPARUS


Victor Tryoën, 

Photo prise lors de son départ en retraite, reproduite dans le bulletin n°111  daté de janvier 2013 de l'amicale des Anciens de l'ÉCOLE NORMALE D'INSTITUTEURS ET DU CENTRE I.U.F.M. DE DOUAI

LES CAHIERS CLAIRAUT LUI ONT RENDU HOMMAGE :

Notre ami Victor est décédé le 6 décembre 2009 à l'âge de 87 ans.
Faire mémoire de Victor, c’est d’abord parler d’un ami, avec cette myriade de souvenirs qui reviennent en mémoire ; souvenirs personnels et collectifs qui, rassemblés, dressent le portrait de cet homme fin, sensible et chaleureux, assez timide, mais doué d’un humour auquel il donnait libre cours quand il se sentait en confiance, que nous avons eu le bonheur de connaître.
C’est aussi témoigner de l’empreinte dont il a marqué le CLEA. Autant que Gilbert Walusinski, mais à sa façon, différente, il nous a conduits à appréhender le cœur de la fonction d’enseignant.
Quand nous l’avons connu, au tout début de la vie du CLEA, il enseignait la physique en École Normale à Douai. L’astronomie fut pour lui un incident de parcours, son directeur l’ayant désigné "volontaire d’office" pour animer un club ; elle devint rapidement une passion, parce qu’elle lui donnait abondamment matière à illustrer la méthode de découverte et l’appropriation d’un savoir par l’expérience, la manipulation. Il mettait en pratique sa règle d’or, devenue une sorte de proverbe du CLEA: "la répétition fixe la notion", en imaginant de multiples protocoles expérimentaux, diverses activités autour d’une même notion ou d’un même phénomène, activités dont il sériait soigneusement les étapes. Il n’avait pas son pareil pour imaginer des maquettes et les réaliser avec les moyens du bord, avec toujours en tête cette autre règle d’or : chaque élève doit pouvoir la manipuler.
Des élèves, nous n’en avions pas sous la main – le CLEA n’a pas d’école d’application! – mais les enfants, aujourd’hui adultes, qui accompagnaient leurs parents stagiaires d’écoles d’été se souviennent encore de séances mémorables.
Le passage par la maquette pour accéder à la vision spatiale lui tenait particulièrement à cœur et lui fit répondre un jour à un inspecteur qui prônait davantage d’abstraction : "moi, je travaille pour les imbéciles". Animer un club d’astronomie à Douai posait les problèmes des conditions d’observation que l’on peut imaginer ; alors Victor découvrit – et nous fit ensuite découvrir – les "documents de substitution". Le CLEA en a produit beaucoup, dont il fut souvent auteur ou co- auteur.
Je crois qu’il a aussi marqué de son empreinte la méthode, elle-même expérimentale, qui a procédé à la mise sur le marché de nos documents : chacun repartait à la fin de l’école d’été avec les maquettes ou les instruments qu’il avait construits ou le détail du protocole d’une observation. Ceux qui revenaient l’année suivante exposaient les réussites et les échecs de la reprise avec leurs élèves, et l’on remettait l’ouvrage sur le métier.
La méthode d’apprentissage des constellations de Victor, avec ses grandes planches peintes en bleu nuit et les clous dorés figurant les étoiles qu’il fallait relier avec des élastiques est certainement le souvenir de lui que beaucoup d’entre nous ont conservé. A moi, l’astronome pour qui les constellations étaient sensée n’avoir (peut-être ?) pas de secret, il posa timidement cette question, le premier soir de la première école d’été: "Connaissez-vous le dauphin ? Voulez-vous que je vous le montre?" Et nous avons alors arpenté ensemble la constellation du Cygne ; chaque fois que je la regarde, elle me parle de Victor. Lucienne Gouguenheim

Victor Tryoën était un ami et je l'admirais : son aisance devant un auditoire, la maîtrise des sujets qu'il présentait et sa facilité à utiliser des démarches pédagogiques variées et toujours adaptées me donnaient du bonheur. Impossible d'oublier son air malicieux au cours d'un exposé : on pressentait aussitôt, le connaissant, qu'il allait faire preuve de cet humour qui nous réjouissait tant à chaque fois. Un souvenir, parmi tant d'autres, le dernier soir à Sophia Antipolis: comme de coutume, Victor avait rédigé un texte pour clore cette semaine de stage. Il a lentement descendu l'escalier du hall entre deux haies de collègues enjouées puis il a détaillé précisément ce qui aurait dû, à son avis, constituer le déroulement idéal de l'école d'été : en doublant les cours et en supprimant tous les "temps morts" (repas, interclasses diverses et même temps de sommeil...!), il arrivait à une activité du groupe qui remplissait les 24 heures de chaque journée !
Que d'occasions nous ont tous ravis en travaillant avec Victor ; les souvenirs seraient si nombreux à évoquer. Il nous a marqués de sa personnalité et de sa démarche d'enseignement et reste pour moi un modèle inoubliable. Daniel Bardin.
Victor Tryoën à l'île de Ré
Il y a une phrase de Victor que je n'hésite pas à répéter souvent : "la répétition fixe la notion". Plus je la redis et plus j'en comprends le sens. Georges Paturel

Les constellations ont perdu leur maître, dorénavant nous le verrons parmi elles. Jean Ripert


Après ta si jolie phrase je laisse simplement mes souvenirs courir de stages en stages.

Les images jaillissent où la gentillesse de V ictor illumine encore ces nuits de repérage.
Le ciel est clair ce soir, je vais aller voir le grand G de l'hiver et penser... Jacky Dupré


Victor ou la pédagogie incarnée. Il était sensé nous apprendre à reconnaître les constellations et en fait, il nous a, par sa pratique, enseigné la pédagogie :

a. Partir des choses simples pour aller vers les choses plus complexes,
b. Réutiliser ce que l'on vient d'apprendre pour aller plus loin,
c. Veiller à ce que les "élèves" soient actifs en classe, 
d. Ne pas hésiter à les envoyer au tableau pour qu'ils apprennent à s'exprimer clairement devant un groupe, 
e. Apporter régulièrement des informations complémentaires ou des anecdotes pour fixer aussi la notion nouvelle à un autre domaine de connaissances,
f. Faire juste ce qu'il faut (peut-être quelquefois un peu de trop !) de théâtre parce que le professeur est aussi un acteur de théâtre.
Et tout ça avec en toile de fond une culture prodigieuse.

Victor : un maître ! Par la maîtrise de son enseignement et par le chemin qu'il nous montrait.

Les animateurs et les stagiaires des stages d'astronomie de l'Académie de Rennes lui doivent beaucoup. Frédéric Dahringer

Ce lumineux matin du 3 juillet 1979, au milieu des oliviers et des lauriers roses, au Mas du Calme à Grasse, un vieux monsieur (à l'époque, toute personne au delà de 50 ans l'était pour moi) s'affairait avec des planches en bois cloutées, des élastiques, appareils de projection de diapos et autres caisses.

C'était Victor !

Dans l'atelier de 16 à 18 h (qui a débordé jusqu'à 19h30), notre groupe s'est installé dans une pièce obscure et Victor a balayé les cieux d'hiver, d'été avec les bleues, les rouges, des rotations, des dieux, des héros et une pauvre Andromède...

Le rythme était soutenu, on n'avait pas intérêt à flâner parmi les étoiles, les élastiques étaient tendus entre les clous et les constellations apparaissaient et disparais- saient. Chacun notre tour, on "planchait" pour les retrouver, la tête pleine d'étincelles, après le repas, on est allé voir la voûte étoilée (éclairée à l'horizon sud par la lueur de Cannes) Victor a continué.

Inlassable, passionné, pédagogue et tenace, Victor nous communiquait sa passion des étoiles.

Merci Victor, peut-être es-tu allé les retrouver ? Liliane Vilas-Sarrazin

Victor est avec d’ autres amis rencontrés aux Universités d’été, un accompagnateur essentiel de toute ma carrière d’enseignante. Tant de choses devraient être rappelées pour dire la richesse de ces rencontres. Pourtant j’en resterai au début: avec poésie, solide connaissance des mythologies, malice et bonne humeur il nous a appris à reconnaître les constellations du ciel. Plus tard sans qu’il soit là, mais la main dans la main avec Victor, j’ai transmis ce plaisir aux élèves, aux enfants de la famille et des amis... Il m’accompagne aussi quand je lève la tête vers le ciel nocturne et que je m’ y sens en "familiarité". Quelle chance d’avoir rencontré Victor pour cela et pour bien d’autres choses encore ! Catherine Vignon

Lors d'interventions dans des écoles primaires, il logeait chez nous, son arrivée, son séjour avaient marqué nos enfants auxquels il avait "raconté le ciel, la Lune" mais aussi fait des tours de magie, ils s'en souviennent encore ...

Dans une classe primaire il venait de rentrer, un élève a dit bien fort : "Oh mais Madame c'est un Savant ..." Tout est dit !

Lucette Mayer

J'ai connu Victor à Formiguères lors de ma première Université d'Été d'Astronomie en 1987 et j'ai suivi cet été-là, son atelier d'"Apprentissage des Constellations".

Je suis contente d'avoir pu lui dire combien je lui étais reconnaissante de cette formation.

Son enthousiasme, son humour et son érudition dans le domaine le rendaient passionnant et il nous a sans doute communiqué ses qualités de "conteur". Danièle Maurel

Victor encourageait, aidait à surmonter les raisonnements les plus ardus, sans jamais les éluder. Il savait faire passer la difficulté sans souffrance, faire preuve du plus grand sérieux, de la plus grande rigueur scien- tifique, sans lasser. Il savait simplifier sans vulgariser, être clair pour le plus grand nombre sans pour autant lâcher du lest sur la précision. Il accompagnait avec humour toutes nos universités d’été, toujours à l’écoute des autres, toujours modeste et toujours prêt à se remettre en question selon les suggestions et commentaires variés, qu’il ne manquait jamais de compiler de façon nouvelle pour en faire le sel, le nouveau de la conférence suivante. C’était un plaisir de voir ce modèle d’enseignement sans cesse renouvelé et toujours de haute valeur.
La dernière fois que je l’ai vu, il y a quelques années à Pâques, il y avait, le soir, les Gémeaux scintillant vers le clocher de Flayosc, assez haut vers l’Ouest. Je les lui ai montrés en évoquant la bonne vieille époque où il nous montrait le ciel. Il y a eu une ombre dans son regard et j’ai compris que ses souvenirs de constellations s’estompaient. Alors je me suis tournée vers le Nord pour ne pas le gêner et ai dit deux ou trois banalités sur les circumpolaires pour revenir en terrain plus facile. Quand alors il m’a demandé comment je savais que c’était le Nord, la gorge nouée, je lui ai doucement réexpliqué les choses. Il était admiratif comme nous l’étions tous face à lui autrefois.
J’ai compris alors que son esprit nous quittait déjà. Mais ce qu’il a laissé comme connaissances astronomiques aux générations de stagiaires, collègues, voisins, collégiens, est immense, par la façon unique qu’il avait d’allier érudition, logique, rigueur, précision, poésie, humour et humanité. Cécile Decaux

Remerciements :
Si cet article a vu le jour, c'est gràce à un forum de discussion sous forme de courriels qui a réuni quelques anciens de la promotion 66-71 autour de l'évocation de ce professeur exceptionnel, dont Jean-Alain Cornil qui a ouvert le débat en ces termes " Si j'ai choisi l'option Physique en FP, c'est grâce à lui, car j'avais apprécié ses cours, sa disponibilité et surtout son humanité ", André Léger qui a centralisé les témoignages, et surtout Jean-Paul Bridenne qui a exhumé nombre d'éléments qui constituent cet hommage (l'article des cahiers Clairaut de 2010, et la nécrologie ci-dessous en particulier)




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