Quelle émotion à la lecture du bulletin N° 110, en voyant la photo de Haremza, debout, appuyé sur le bureau, dans l’attitude qu’il adoptait pour écouter avec attention l’intervention d’un élève. C’est exactement comme cela qu’il était resté dans mon souvenir.
Ce professeur m’a marqué durablement car il a été celui qui m’a aidé à comprendre, en se servant de l’étude des classiques, ce qui se passait autour de moi.
En effet, en cette année scolaire 1957-1958, beaucoup de choses incompréhensibles pour mon jeune esprit se déroulaient en France et en Algérie.
Je pensais à l’époque vivre dans un pays ou la démocratie était de règle, que durant la guerre, le peuple français s’était mobilisé en masse dans la résistance (je n’ai découvert que bien plus tard que je devais mon prénom à Pétain). Moi qui pensais que seuls les nazis se livraient à la torture, je découvrais, par la brochure « la question » de Henri Alleg circulant sous le manteau, que l’armée française n’en faisait pas moins en Algérie. Avec la menace de débarquement des paras à Paris je découvrais la fragilité de la démocratie et l’existence d’un courant d’extrême droite dans notre pays. L’arrestation, par l’armée, d’élèves de quatrième année qui étaient allé badigeonner sur les murs : « le fascisme ne passera pas » et leur passage à tabac, montrait que le danger était vraiment à notre porte (Haremza avec d’autres profs ira négocier la libération de nos camarades).
Tout cela me laissait complètement déconcerté.
Haremza nous a aidés (je dis nous car je ne crois pas être le seul à avoir été en plein désarroi) à comprendre la complexité des rapports humains et partant politiques. Il provoquait le débat, écoutant avec respect les opinions de chacun et effectuait des comparaisons en prenant des exemples chez Corneille et Racine. Je me souviens encore du débat qui a vivement animé notre classe pendant plusieurs semaines, à partir du sujet de dissertation qu’il nous avait donné : « Cinna est-il un héros ? », pendant lequel Cinna a été comparé tour à tour à Guy Mollet ou à Massu.
Cette volonté d’ouvrir l’esprit, de tenir compte des opinions de chacun sans directivité mais sans concession a été un exemple permanent dans mon métier d’enseignant.
Montaigne disait : « l’enfant n’est pas un vase qu’on remplit mais un feu qu’on allume ».
Zaza avait les bonnes allumettes !
Philippe Cnudde (promo 56-60)
photos en noir et blanc fournies par Guillaume Bianchi (promo 58-62) et parues dans le bulletin n° 110 de janvier 2012
photo couleur de Philippe Cnudde prise lors de l'assemblée générale du 7 avril 2013 pendant son intervention