De l’élève à l’élève-maître.Petite histoire d’une trajectoire.Par Alain Carpentier (promo FP 55 57)
Nous avons reçu ce 11 octobre 2022 le message suivant d'Alain Carpentier auquel était joint un texte très intéressant sur son expérience d'écolier à l'école annexe rue d'Arras puis d'élève maître en formation professionnelle à l'ENI de Douai. Nous le publions intégralement ci après :
"Cher ami,
Suite à l'appel lancé dans le dernier bulletin je me permets de soumettre à votre attention un texte qui pourrait être de quelque intérêt pour les lecteurs anciens normaliens.
Cordialement à vous."
Alain Carpentier. Promotion 55/57 en FP.
"J’ai eu un rapport singulier avec l’École Normale de Garçons et son École Annexe.
Enfant, j’habitais à Douai avec mon frère et nos parents dans le quartier du Raquet non loin du dépôt de chemin de fer et de la brasserie des Enfants de Gayant. Nous avions été scolarisés à l’école Denis Papin de la cité des cheminots située juste après le pont de Cambrai sur la route qui mène à cette ville. Ceci se passait dans les années de guerre 40-44. C’est M. et Mme Gasquière qui assuraient la direction des deux écoles filles et garçons. Qui se souvient encore de ces noms ?
À l’approche de la libération, l'aviation alliée, visant le dépôt de chemin de fer, détruisit complètement la maison que nous occupions. Fort heureusement mon père, qui avait été pilote de chasse dans les années 30, avait observé quelques temps auparavant qu’un avion, volant très haut dans le ciel, était probablement en train de photographier cette zone, en préparation à un bombardement. Il avait donc décidé d’emmener toute la famille se réfugier chez un couple ami qui habitait rue des Jardins. Cette rue, à partir de la porte d’Arras, conduit vers Lambres. C’est de cette façon que nous avions échappé à une mort certaine. C’était en 1944.
De la rue des Jardins à l’École Annexe il n’y a que quelques centaines de mètres et c’est donc là que, en cours d’année scolaire, nous avons été scolarisés.
Je me souviens très bien de cette école située au bout à droite de l’allée dans laquelle était érigé, à l’époque, le monument représentant Hercule terrassant le lion.
J’étais intrigué par cette statue ne sachant absolument pas ce qu’elle signifiait. La petite maison du concierge se trouvait à peu près en face et chaque jour nous franchissions l’imposant portail de l’ENG pour arriver à notre école.
On y accédait, au bout de l’allée, par une petite porte donnant sur la cour fermée de tous côtés et ombragée par deux marronniers. Une perche en bois lisse accrochée à un des arbres nous permettait de nous livrer à des concours du meilleur grimpeur. L’École Annexe ne comportait, je crois, que quatre classes de plain pied.
Je me souviens de deux instituteurs M. Nio et M. Vanbauce et d’une jeune institutrice dont j’ai oublié le nom. C’est dans la classe de cette dernière, en CE1-CE2, je pense, que je fus affecté. De temps à autre nous devions nous réfugier dans un sous-sol ou une sorte de cave lorsque la sirène retentissait en prévision d’un bombardement. Cette fin d’année scolaire fut extrêmement perturbée et je pense n’avoir appris que très peu de choses. Puis vint la Libération et lors de la rentrée suivante, en octobre 44, j’intégrais la classe de M. Vanbauce en CM1 probablement. C’est là que je découvris que cette école était différente de celle que j’avais fréquentée auparavant. Au cours de l’année, de jeunes hommes venaient passer deux ou trois semaines dans la classe pour y écouter les leçons données par le Maître et pour se substituer à lui de temps à autre. Cela m’avait vraiment intrigué car, bien entendu, j’ignorais tout de l’existence de l’ENG et de son rôle dans la formation des instituteurs.
C’est au cours de cette année et la suivante que deux ou trois fois nous avons reçu des colis de vêtements venant de la Croix Rouge dont certains disaient qu’elle était américaine. Il faudrait ici tout un chapitre pour évoquer les conditions de vie à ces moments précis mais ce n’est pas l’objet de mon propos.
J’eus quelques difficultés en cette année scolaire 44-45 à rattraper le temps perdu l’année précédente. L’année suivante 45-46 chez Mr Nio ne fut guère meilleure. Là aussi de jeunes élèves-maîtres venaient, de temps à autre, parfaire leur apprentissage pratique de la pédagogie. La grande nouveauté du moment, en prémices aux multiples réformes qui viendraient par la suite, fut l’introduction de l’écriture scripte! Comme j’étais assez habile je devins vite l’exemple à suivre dans ce domaine. J’ai ainsi gardé toute ma vie une écriture mixte ronde et scripte. De la même façon, je devins vite expert dans l’utilisation du pipeau que nous devions obligatoirement acquérir et que nous devions toujours avoir dans le cartable. C’était, là aussi, la grande nouveauté du moment. Pour le reste je ne pense pas avoir fait de gros progrès en cette année qui fut une nouvelle fois interrompue par le déménagement de mes parents. Nous quittions la maison des amis de la rue des Jardins pour un appartement situé dans le centre-ville de Douai et réquisitionné par la Mairie au profit des sinistrés que nous étions.
J’intégrais donc, presque en fin d’année, la classe de 7ème du Lycée situé, après la guerre, dans des locaux construits dans l’urgence sur la Place du Barlet. Cette classe était tenue par M. Garnier qui fut l’instituteur le plus efficace et exigeant que j’ai connu et sous la férule duquel je fis, l’année suivante, des progrès fulgurants me permettant de réussir facilement le concours d’entrée en 6ème et d’entrer au Collège Moderne de la rue des Wetz. J’y fis toute ma scolarité secondaire jusqu’en 1ère puis revenais au lycée en Math-Élem pour enfin passer le concours d’entrée à l’ENG en FP en septembre 1955.
C’est là que je retrouvais l’École Annexe qui avait quitté les locaux que j’avais connus étant élève pour des bâtiments modernes en bordure de la rue d’Arras.
Je n’ai pas retrouvé ses anciennes salles de classe qui furent probablement détruites ou réaménagées dans le cadre de l’agrandissement et de la modernisation de l’ENG.
J’ai passé deux années en FP en qualité d’externe car j’habitais Douai. La première année j’eus la surprise pour mon premier stage de retrouver la classe de …M. Vanbauce ! Je passais ainsi du statut d’élève à celui d’élève-maître. Curieux cours des choses de la vie ! La deuxième année nous étions affectés en « situation» dans différentes écoles car le manque d’instituteurs avait nécessité de faire face à l’afflux d’enfants déjà issus du baby-boom. Je fus nommé à Lallaing.
Bien qu’externe en FP j’ai gardé de bons souvenirs de mon passage à l’ENG et surtout y ai appris à m’intégrer à la vie active et bientôt militante. Je garde un souvenir ému de Mr Labit qui tenait un atelier de reliure au sein duquel nous nous retrouvions quelques-uns les samedis après-midi pour nous initier à cet art si délicat de la mise en valeur d’ouvrages que nous garderons tout au long de notre vie.
Je me souviens que notre directeur M. Hickel venait parfois nous rendre visite dans cet atelier portant sous le bras un ou deux livres qu’il souhaitait faire relier.
J’ai donc connu M. Hickel puis son successeur M. Mériaux. C’est d’ailleurs ce dernier qui m’interrogea sur le contenu de mon mémoire qu’aucun professeur n’avait souhaité prendre en charge. En effet j’avais choisi comme thème les télécommunications. À l’époque on était pourtant encore très loin de l’utilisation de l’électronique et la technique de l’électro-mécanique était finalement très simple. Mr Mériaux, par mon intermédiaire, découvrit un univers dont il ignorait tout.
Revenons cependant à l’École Annexe. Le directeur en était M. Coquelet qui nous fit vite comprendre que le premier devoir d’un enseignant était de se syndiquer ! Autre temps assurément mais c’est de cette façon que je devins membre du SNI et donc de la toute puissante FEN puis plus tard militant et enfin responsable local de ces deux structures. C’est ainsi que, de fil en aiguille, je m’engageais politiquement pour devenir plus tard Conseiller Général du Nord et Maire de Maubeuge (1). C’est là une tout autre histoire qui trouve néanmoins ses prémices dans la fréquentation, depuis l’enfance, de notre ENG et de son École Annexe.
Alain Carpentier. Promotion 55-57 en FP.
(1) Petite biographie extraite d'un article de la Voix du Nord que nous avons pu consulter sur internet.
"Alain Carpentier est né le 7 juillet 1936, à Cambrai. Mais c’est à Douai qu’il a passé sa jeunesse : école primaire, collège moderne, lycée, puis École normale. Instituteur, il arrive en 1957 à Maubeuge, à l’école du Centre, avant de faire son service militaire en 1958, pendant vingt-sept mois. Il est rentré en mars 1961, a été nommé à Feignies puis au collège qui allait devenir le collège Budé (route de Mons, en 1963).
C’est là qu’il a commencé une double carrière : enseignant (mathématiques et physique) et syndicaliste. Il a exercé la profession d’enseignant jusqu’en 1989, au même endroit. En 1982, il a été élu au conseil général (réélu en 1989, il en est devenu un des vice-présidents, chargé de l’action économique). En 1983, il mène une première liste contre le Dr Forest (décédé en 1984, remplacé par Jean-Claude Decagny) et entre au conseil municipal. En 1989, il présente une nouvelle liste et est élu. En 1995, Alain Carpentier prend du recul. Et en 1997, c'est l'année de son départ à la retraite de l’Éducation nationale. "
Recu ce 22 mars 2023 un complément à l'article ci-dessus sous la forme d'une photo de promotion FP 55 57
Cher ami,
De retour à Maubeuge j'ai apprécié la parution, dans notre bulletin, du petit article que je vous avais communiqué relativement à ma fréquentation de l'école annexe durant les années de guerre et ensuite en qualité d'élève maître.
Vous m'aviez demandé si je disposais d'une photo de la promotion FP 55/57.
J'ai retrouvé celle-ci que je vous joins en pièce jointe. J'avais noté le nom de mes camarades au verso de la photo. J'ai fait un calque permettant de les identifier et que je joins également. Ce n'est pas un travail de professionnel et je ne sais si cela est utilisable.
Cordialement à vous.
Alain Carpentier Promotion FP55/57
Pour retrouver les noms des élèves-maîtres FP 55 57 sur la photo |