Petits souvenirs des anciens Directeurs de l'ENG
Francine Malexis-Verdiere |
Dans le dernier bulletin la galerie de portraits des anciens Directeurs attire l'attention. Je les ai tous rencontrés sans toutefois avoir le statut d'élève, j'ai donc pensé que mes petites anecdotes pouvaient faire sourire ou apporter un nouvel éclairage.
Monsieur Hickel me faisait un peu peur ainsi qu'à mes copines de promotion ( 1954-1958).
Nous lui trouvions un air sérieux voire sévère et on ne s'expliquait pas pourquoi les normaliens l'appelaient affectueusement « pépère ».
Monsieur Mériaux, je l'ai croisé lors du bal de Saint Nicolas.J'appartenais au groupe de 3 surveillantes chargées d'encadrer les normaliennes présentes à cette sauterie annuelle organisée par l'ENG. Monsieur Mériaux avait retenu, avec galanterie, une danse pour chaque surveillante. J'ai, en ce qui me concerne, le souvenir d'une valse! Les 3 surveillantes étaient très flattées par cette attention: la fonction de « pionne » étant souvent méprisée et décriée! Il est vrai aussi qu'à l'époque elle nous permettait de faire des études universitaires sans dénoncer notre contraignant engagement décennal.
Nommée pour mon premier poste de professeur à l'ENG je me suis présentée à mon Chef d'établissement la veille de la rentrée comme c'était l'usage.
À mon arrivée dans son bureau Monsieur Clisant m'a accueillie avec cette phrase «madame Malexis vous arrivez ici comme une bénédiction ». J'étais jeune mais pas tout à fait naïve et je n'ai pas pris cette curieuse phrase au premier degré, d 'abord par égard pour la laïcité!En fait j'ai très vite compris , avec les questions posées, que le Directeur s'inquiétait par avance d'éventuels problèmes de discipline dans la gestion de la classe. Il s'est un peu rassuré lorsque je lui ai rapporté que je venais d'avoir la responsabilité, en stage, d'une classe terminale au Lycée de garçons de Tourcoing, à l'époque les établissements n'étaient pas mixtes.... Manifestement le Directeur aurait préféré accueillir un professeur de sexe masculin avec quelques années d'expérience professionnelle. Il n 'a pas été obligé d'intervenir dans mes classes car je n'ai pas connu de problèmes de discipline. Un égo hypertrophié pourrait m'inciter à écrire que c'était en relation avec mon autorité naturelle. En fait, je pense que l'explication se trouve au niveau des normaliens: intéressés ils se révélaient être des élèves attentifs et participatifs. Ma discipline, les sciences naturelles, intéressait le plus souvent les élèves : pas de dogmatisme, les cours apparaissaient comme une mise au point, une synthèse des découvertes faites en Travaux Pratiques où les activités étaient variées et le plus souvent autonomes.
Cependant je suis retournée dans le bureau de Monsieur Clisant pour présenter une revendication avec 2 collègues féminines (mademoiselle Colin et madame Dumont il me semble) nous voulions obtenir une clef afin de pouvoir accéder pendant les récréations aux toilettes « à l'anglaise » du premier étage car au rez de chaussée les toilettes étaient à la « turque » ou de simples urinoirs. Nous avons eu gain de cause!!!!! Remarquable victoire qui pourrait illustrer l'épopée du combat féministe.
Monsieur Virel était un Directeur assez distant de ses administrés et les événements de 1968 n'ont pas modifié sa posture,mes souvenirs personnels se confondent donc avec ceux de tous les autres. D'abord la signalisation tricolore à l'entrée de son bureau, elle me paraissait peu respectueuse de l'identité du visiteur, alors avec un peu de lâcheté sans doute , je la contournais. Pour obtenir une autorisation de sortie pédagogique je ne rencontrais pas le directeur je déposais simplement mon dossier sur le bureau de la secrétaire de direction.. Avec le recul du temps je pense que ce directeur nous entraînait à ce qui serait notre quotidien quelques décennies plus tard : l'individu confronté aux réponses programmées d'un robot.Je n'ai pas oublié non plus les noeuds papillon assortis aux costumes bleus, il m'en est resté une philosophie juste ou non à propos du noeud papillon : certes il exprime un désir d'élégance mais il traduit aussi une volonté de se démarquer des autres, ce qui apparaît moins dans la société actuelle qui privilégie les teeshirts ou les chemises ouvertes!!
Monsieur Beaucarne gérait son Ecole Normale dans le respect des textes comme en témoigne l'anecdote suivante. Les Inspecteurs pédagogiques se risquaient peu dans les écoles normales et les professeurs se trouvaient souvent bloqués par des notes d'inspection un peu anciennes. Sollicitée, l'Inspectrice Générale de Sciences mademoiselle Deunf est venue passer une journée d'inspection avec les 3 Professeurs de Sciences Naturelles de Douai. Reçue par l'établissement pour le déjeuner elle avait proposé que les 3 professeurs assistent également au repas. Pas de problèmes pour mes 2 collègues inspectés le matin; je devais être inspectée l'après- midi et Monsieur Beaucarne s'est opposé à ma présence, en s'appuyant sur un vieux texte du siècle précédent qui stipulait que les Inspecteurs et les Inspectés ne peuvent pas prendre leur repas ensemble, ils ne peuvent pas être commensaux. L'Inspectrice Générale a insisté et j 'ai finalement participé « aux agapes » organisées au premier étage dans une petite salle étroite jouxtant la bibliothèque. Un mauvais souvenir pour moi : j'ai totalement oublié le menu mais je sais que je me suis éclipsée rapidement au moment du café pour rejoindre ma salle de classe et les Instituteurs en formation continue que je devais prendre en charge. Finalement tout s'est bien passé.
A l'arrivée de Monsieur Mutelet je me suis présentée dans son bureau, je n'enseignais plus à l'EN car j'étais élève-inspectrice en formation à Paris mais mon poste de prof avait toujours son attache administrative à Douai. Au cours de notre conversation Monsieur Mutelet m'a dit : dans ce métier d'inspecteur il ne faut pas faire le Don Quichotte! Précieux conseil donné par un grand littéraire.
Plus tard, j'ai retrouvé Bernard Mutelet à l'Inspection Académique ou au Rectorat. Après chaque réunion, on parvenait à échanger quelques phrases pour se rappeler l'ENG avec parfois, il faut bien le dire, un brin de nostalgie.