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vendredi 22 mars 2024

Il y a eu un avant et un après 1968, Michel Thérey (promo FP 67 69) a vécu ce passage historique qui a bouleversé le fonctionnement des écoles normales d'instituteurs. Il raconte avec précision ce tournant de l'histoire.

 


LES VIEUX MURS… AU TOURNANT DE L’HISTOIRE

Michel Therey en stage à l'école primaire de Dechy en novembre 1968


Quelle ne fut pas ma surprise, un matin de Septembre 67, en voyant mon nom en tête de liste affiché à la grille de l’ENG. Je venais d’être reçu major de la promo 67/69 en Formation Professionnelle. Je ne m’étais pas inscrit là pour embrasser une carrière, encore moins pour chercher à y briller, mais pour me rapprocher de ma belle cloîtrée derrière le haut mur de 4m hérissé de tessons de bouteilles et rehaussé d’un grillage qui nous séparait de l’ENF.

L’école normale, je la connaissais déjà par ouï-dire ; ma mère ayant été normalienne au début des années 30 suivie de ma sœur 20 ans plus tard. Ni l’une ni l’autre n’avait gardé un souvenir épanoui de leurs adolescences en ces lieux.

Moi, j’avais terminé mes études au lycée Faidherbe de Lille, un campus tout récent de bâtiments disséminés sur de vastes pelouses où les couples post-bac s’enlaçaient, quand ils ne se vautraient pas dans les couloirs à la limite de la fornication.

Je venais de passer un an dans une unité d’handicapés moteurs comme instituteur remplaçant avec de jeunes collègues dynamiques, décontractés et sympas dans une ambiance aérée, détendue, constructive et pleine d’espoir.

J’avais fait un stage avec les CEMEA et étais devenu moniteur de colonies de vacances

Je n’avais encore que 19 ans mais j’avais déjà un peu vécu.


Mon arrivée à l’école normale, sans être un choc, ne manqua pas de me surprendre. L'ambiance y était feutrée, chaude, rassurante ; une sorte de cocon familial éloigné du monde, quelque peu infantilisant, vieillot et compassé. La cravate et la chemise blanche  y régnaient doctement dans une ambiance affairée et studieuse tandis qu’à l’extérieur s’égosillaient les Beatles, s ‘épanouissaient les mini-jupes, soufflait un vent de liberté. Le choc des cultures avec ce que j’avais connu jusque-là était flagrant.

Les lieux même avaient un côté passéiste. Ils avaient connu l’influence religieuse au XIXème siècle – en témoignait la chapelle transformée en salle des fêtes – abrité les hussards noirs de la république, souffert les affres de la grande guerre à travers les noms de 325 pauvres gars qui s’étaient trouvés là au mauvais moment et qui étaient inscrits à jamais au pied d’un Hercule grandiloquent terrassant je ne sais quel lion, sans doute échappé d’un cirque douaisien. Les murs suintaient encore de cette grandeur passée, de cette honorabilité dont les professeurs, au fond d’eux - mêmes, n’étaient sans doute pas peu fiers et qui rejaillissait sur eux. Nous étions là dans une « institution », vénérable, républicaine, immuable aux antipodes des aspirations de la jeunesse qui se voulait anti gaullienne, qui ne rêvait que de décontraction, de fantaisie et de loisirs. Dans cet univers compassé, seul Jean Bacquet, le prof de musique, avec l’ orchestre de jazz qu’il avait créé, apportait un rayon de soleil et un souffle de modernité

L’architecture aussi se voulait d’une certaine splendeur. Outre la chapelle déjà citée et sa magnifique charpente, les deux pavillons symétriques de part et d’autre de l’ancienne entrée officielle abritaient en haut d’un perron de trois marches les logements respectifs de Monsieur le Directeur (M. Virel) et de Monsieur l’Intendant (M. Prunier). Dans le vestibule donnant accès au bureau directorial perpétuellement inaccessible à cause de son feu tricolore éternellement au rouge, s’élançait un large escalier de chêne à double révolution menant à la bibliothèque. C’était, avec le pavillon des sciences, une autre caverne d’Ali baba où officiait un homme aussi affable qu’effacé, en blouse grise, qui devait passer ses journées à attendre d’hypothétiques chercheurs en pédagogie.

Malgré ces quelques efforts,  l’architecture de briques rouges vieillies par le temps n’arrivait pas à forcer le respect ; elle était avant tout massive, imposante par ses dimensions, répétitive dans ses alignements de fenêtres. Elle s’apparentait aux châteaux de l’industrie du XIXème, aux couvents d’une ville de province nichés au fond d’une ruelle. La galerie vitrée qui encadrait sur trois côtés la cour d’honneur finissait de conférer à l’ensemble un aspect provincial  et désuet. A l’extérieur, quelques arbres vénérables au milieu de lambeaux de pelouse plus terreux qu’herbeux rappelaient qu’il avait dû y avoir là un parc dorénavant grignoté par des installations sportives. Plus loin, un potager rappelait les cours d’agriculture enseignés à nos aînés.

C’est dans ce contexte paradoxal et hors du temps que j’effectuais mes premiers mois de normalien. J’hallucinais quelque peu.  La prise de contact avec les écoles de Douai ne fut pas pour éclaircir mon horizon ni pour m’aider à me projeter dans l’avenir. Elles étaient encore plus sombres, plus vétustes et plus conventionnelles que l’école normale. Et je ne parlerai pas ici de la pédagogie qui y était pratiquée : la plus rétrograde que j’aie jamais rencontré. J’étais à cent lieues de l’idée que je me faisais alors de l’enseignement : un monde lumineux où l’on ne venait pas par obligation et pour apprendre mais pour découvrir, expérimenter, comprendre ; un monde de relations franches et directes entre adultes et enfants où le plaisir et le jeu seraient les maîtres mots. Par chance, j’avais choisi de m’orienter au plus tôt vers l’enfance inadaptée et je n’avais plus, ici, qu’ à prendre mon mal en patience, qu’à attendre des jours meilleurs et me réfugier dans les activités du foyer socio-éducatif (photo, théâtre, sonorisation de la salle des fêtes).


J’étais surtout à cent lieues de m’imaginer (et combien d’autres avec moi en cette fin 67) que d’ici quelques mois nous allions vivre le plus grand bouleversement social de notre histoire contemporaine. A l’école normale, rien ne laissait entrevoir le moindre changement. Le mouvement nous a pris au vol un samedi matin alors que le pays venait de se paralyser dans la grève générale illimitée.  La veille encore, la fête musicale avait battu son plein dans la sérénité sans que personne jamais n’évoque les émeutes qui embrasaient Paris depuis plusieurs semaines déjà. Une fois encore, le décalage entre la vie du monde extérieur et  le ronron bien huilé de l’institution normalienne était époustouflant. Pourtant, dès la semaine suivante, les deux EN furent occupées et ce ne fut alors que réunions, colloques , AG remettant en cause en permanence  tout le système éducatif ; la société toute entière. Chacun - professeur comme élève - y allait de sa proposition, de sa revendication dans un tumulte incontrôlable. On avait l’impression d’une chaudière qui venait d’exploser, libérant des dizaines d’années de rancœurs, de soumissions, de frustrations, d’humiliations. Et - ô miracle - la porte de fer dans le haut mur qui séparait les deux EN s’ouvrit. En toute liberté - et pour la première fois de l’histoire - les normaliens investirent l’ENF et les filles l’ENG pour échanger en commun de problèmes communs et envisager ensemble de bâtir un avenir nouveau. C’était sans arrières pensées, à la fois simple et lumineux comme le ciel  de Mai ; terrifiant et incertain aussi. Du jour au lendemain, les petites filles et les petits garçons bien dociles étaient devenus des adultes exigeants, face à leurs responsabilités. 


Michel Therey au Foyer de l'ENG en décembre 67 lors d'une rencontre avec les normaliennes. (À gauche sur la photo Sylviane Morival)


Au bout de deux semaines, quand la grève prit fin, les EN ne rouvrirent pas pour autant sauf par lambeaux et l’année scolaire glissa doucement dans les vacances. 

Le bac, suspendu, voire quelques jours supprimé, maintes fois reporté, prit la forme d’un simple oral. « Ma femme », comme il était coutume de dire à l’ENG, en fit les frais n’ayant été préparée toute l’année qu’à des épreuves écrites. Elle ne l’obtint qu’en septembre.

L’année 68/69 tout avait changé. Plus personne ne savait comment se situer. Les profs nous demandaient l’autorisation de nous faire cours qui se muaient immanquablement en débats politico-syndicalistes. On parlait « plan Rouchette », maths modernes, réforme de l’orthographe, mixité … Mr Haremza n’en finissait pas de rencontrer le ministre et nous rapportait les dernières infos de Paris. En plein cours on allait d’une classe à l’autre colporter les dernières nouvelles ; il m’est arrivé d’aller m’entretenir longuement, pendant ses heures d’étude, avec un camarade de seconde du club théâtre ou des comptes de la coop. L’institution, telle un œuf en train d’éclore, craquait, se fissurait de partout. Le directeur, plus que jamais, se terrait dans son bureau. Les vieux murs avaient perdu de leur prégnance, de leur substance : ils étaient devenus transparents. Les chemises blanches et les cravates s’étaient évanouies dans les oubliettes de l’histoire, remplacées par les polos et les cols roulés. Juchés sur le piédestal de l’Hercule, on fumait sa clope en refaisant le monde, en échangeant sur nos expériences sexuelles sans avoir conscience que les classes de seconde constituaient  alors la dernière promotion de normaliens à part entière, que deux ans plus tard ce serait la fin de la longue tradition normalienne. Le monde ancien avait basculé ; je ne le mesurais pas encore mais j’en étais le dernier témoin.


J’ai quitté les vieux murs en Juin 69 pour rejoindre l’enfance inadaptée. Celle qui, entre temps et avec autorisation du recteur, était devenue mon épouse les quittera l’année suivante.  En SES, je me suis refusé à enseigner pour me muer en animateur ou en éducateur ; je suis devenu formateur permanent aux CEMEA puis éducateur pour de bon avec des cas sociaux particulièrement lourds avant de prendre la direction de cet internat. Je ne voulais pas faire carrière, encore moins y briller : me voilà aujourd’hui officier des Palmes. Paradoxe, retournement de l’histoire…ai-je vraiment choisi ?

Je ne retrouve jamais les vieux murs sans émotion, sans une certaine nostalgie. Je me dis que tout cela est ridicule mais je suis fier d’y avoir eu 20 ans, d’avoir eu 20 ans en 68 en ces lieux et d’y avoir – à ma minuscule échelle – contribué à mettre à bas l’école de ma jeunesse dont , esprit frondeur, j’ai tant souffert.

Aujourd’hui, 55 ans après,  j’ai peine à imaginer que ces murs abritent, sous un même toit, des gamins et des gamines qui vivent là, dans un tout autre contexte, un tout autre destin. Et je ne regrette rien de l’évolution des choses.


Michel THEREY    FP 67/69

                                                                                                        Février 2024


Michel Thérey, ancien directeur de camps d’adolescents dans la commune de Meyrueis en Lozère, ancien directeur d’internat de jeunes en grandes difficultés sociales dans le Nord et aujourd’hui trésorier de l'AMOPA, délégué de l’éducation nationale à Meyrueis, s'est vu remettre l’insigne d’officier des Palmes Académiques en avril 2019 à la salle des fêtes de la préfecture de Mende. (au centre sur notre photo)



PARCOURS DE MICHEL THEREY D'APRÈS COPAINS D'AVANT



mercredi 26 juillet 2023

Philippe CNUDDE (promo 56 60) n'est plus. Il s'en est allé doucement et discrètement. C'est sur Facebook que nous avons découvert avec stupeur l'annonce de son décès par sa famille

 



L'amicale des anciens de l'école normale  Amicale ENG IUFM DOUAI a adressé aussitôt à la famille et aux amis de Philippe Cnudde ses plus vives condoléances sur Facebook. 
Philippe remontait chaque année à Douai pour assister à l'AG annuelle de notre amicale dont il était membre assidu. Il nous manque déjà : ses rires, ses saines colères, sa personnalité si riche et sa grande culture... Il nous adressait dernièrement des messages pour nous décrire la progression de la maladie qui le rongeait et les traitements et remèdes qu'il endurait sans grand espoir. Il nous manque déjà... Voici une photo de lui alors qu'il animait un atelier de marionnettes, ce qui était une de ses passions d'élève-maître à l'école normale de Douai. 



Voici un lien vers le blog de l'amicale où Philippe s'exprime sur cette passion :  

Son ami Jean-Louis Accart témoigne et annonce  :

"Adieu Philippe ! Tu vas sacrément manquer à Castans et à toute la Montagne Noire.... On n'entendra plus ton rire tonitruant et tes fameux coups de gueule... 

Infos données par Par la famille Cnudde :

-La crémation aura lieu à Villefranche de Lauragais Jeudi 27 Juillet 2023 à 15h 

- Dispersion des cendres au cimetière de Castans Vendredi 28 Juillet à 16h sur la tombe de Sylvette selon ses vœux.

Ensuite on se retrouve tous à la maison de Philippe Pour faire une dernière fois la fête pour lui, telle qu'il les aimait Tant ! Vous pouvez préparer chansons danses poèmes, ils seront bienvenus !



 Voici le lien vers un article qu'il avait rédigé sur son professeur de français HAREMZA, dit "Zaza" :

https://engiufmdouai.blogspot.com/2013/04/hommage-zaza.html



dimanche 24 octobre 2021

Mai 68 à l'école normale d'instituteurs de Douai, un témoignage inédit de Monsieur Virel, directeur de l'établissement de 1967 à 1976

 

Le matin du lundi 13 mai, sous l’impulsion des syndicats (CGT, CFDT, FO et FEN), des lycéens et des étudiants des Écoles normales, un meeting est organisé à l’Hippodrome à l’issue duquel un cortège de 1 200 manifestants défile dans le centre-ville de Douai.


Il y a eu la publication ici-même en 2020 d'un appel de Marc Delmotte (63 67) à se souvenir des événements de mai 68 tels qu'ils se sont déroulés à l'ENG

( cliquer sur le lien ci-après pour retrouver cet article du blog : https://engiufmdouai.blogspot.com/search?q=mai+68 )

Voici donc pour mémoire ce qu'écrivait Marc Delmotte :

"Bonjour les amis
Hier soir, j"avais René Boulanger (65-70) et Jacques David (63-68) chez moi à Carcassonne et bien sûr nous avons évoqué nos souvenirs de notre passage à l'EN de Douai. C'est ainsi que j'ai appris par eux qu'en mai 68, alors que je pensais que l'EN était complètement fermée à cause des "événements", un groupe d'une vingtaine d'élèves, dont eux deux, encadrés par quelques profs (dont Haremza, Hage et Bouboule - excusez moi mais j'ai oublié son nom... que je n'ai peut-être jamais connu !) - était resté à l'intérieur de l'établissement pour protéger l'EN et empêcher d'éventuelles dégradations qu'auraient été tentés de faire des élèves du lycée de Douai. Cette "occupation a duré un certain temps.
La porte entre l'ENG et l'ENF avait été ouverte... Bouboule s'occupait de la cuisine ! Ensuite, leurs souvenirs sont confus.

J'ai pensé que cet "épisode" méritait d'être approfondi (recherche d'autres témoignages, article dans le prochain bulletin ...) c'est pourquoi je vous "renvoie la balle". Qu'en pensez-vous ?"

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C'est en feuilletant un ancien bulletin de l'amicale des anciens élèves de l'école normale de Douai (n°63, octobre 1976) que nous avons découvert ce témoignage inédit de Monsieur Virel, à l'occasion de la cérémonie organisée en son honneur pour son départ en retraite. Dans son discours de remerciement, il évoque mai 68 et son témoignage complète fort justement celui de René Boulanger (65 70) et de Serge David (63 68). Voici cet extrait sur les événements qu'il a vécus en tant que directeur : 


"Quand j'ai pris la direction de cet établissement (en 1967 NDLR), les nouvelles constructions entreprises par mon prédécesseur et ami M.  MERIAUX (M. l'Inspecteur d'Académie MERIAUX) étaient achevées, il ne restait plus qu'à ouvrir largement l'Ecole Normale sur la rue d'Arras, c'était le troisième plan des travaux en cours.

Je me suis demandé alors ce que je pouvais bien faire désormais de nouveau puisque tout était parfait. Il ne me restait plus qu'à chausser les bottes de mes illustres prédécesseurs et à essayer de faire aussi bien qu'eux, pensai-je.

Vint mai 1968 ! Il y eut des semaines chaudes dans nos deux Écoles Normales. Mais même quand tout semblait aller au naufrage je dois rendre hommage à la probité intellectuelle des professeurs et à un fond de conscience morale des élèves-maîtres qui m'ont permis d'abord de garder le contact avec eux et une certaine autorité puis, grâce à M. HAREMZA et à Mlle COLIN en particulier de voir se terminer dans l'ordre et le respect de la propreté des bâtiments cette grave crise. Après un moment de surprise, les élèves-maîtres eux-mêmes organisèrent un service de nuit pour empêcher toute intrusion d'éléments perturbateurs ou étrangers à leurs problèmes. La concertation restait à l'Ecole Normale.

En définitive cette manifestation fut bénéfique à tous en ce sens qu'elle a fait apparaître des vestiges de notre vieille institution. Elle nous a obligés à nous repenser et à modifier notre façon d'être. Il reste à nos jeunes gens à faire l'apprentissage de la liberté, et de la responsabilité, à prendre en mains leur destinée en n'oubliant pas qu'ils sont de futurs éducateurs et, comme tels, responsables de la société à venir."

Jean Haremza

Mlle Jeanne Colin, à droite sur la photo


Pour découvrir la biographie complète de Monsieur Virel, cliquer sur ce lien sur le site internet, rubrique : les directeurs

jeudi 12 mars 2020

Mai 68 à Douai, qui s'en souvient ? Marc Delmotte lance la recherche au travers d'une anecdote qui demande à être précisée et complétée.


Bonjour les amis
Hier soir, j"avais René Boulanger (65-70) et Jacques David (63-68) chez moi à Carcassonne et bien sûr nous avons évoqué nos souvenirs de notre passage à l'EN de Douai. C'est ainsi que j'ai appris par eux qu'en mai 68, alors que je pensais que l'EN était complètement fermée à cause des "événements", un groupe d'une vingtaine d'élèves, dont eux deux, encadrés par quelques profs (dont Haremza, Hage et Bouboule - excusez moi mais j'ai oublié son nom... que je n'ai peut-être jamais connu !) - était resté à l'intérieur de l'établissement pour protéger l'EN et empêcher d'éventuelles dégradations qu'auraient été tentés de faire des élèves du lycée de Douai. Cette "occupation a duré un certain temps.
La porte entre l'ENG et l'ENF avait été ouverte... Bouboule s'occupait de la cuisine ! Ensuite, leurs souvenirs sont confus.

J'ai pensé que cet "épisode" méritait d'être approfondi (recherche d'autres témoignages, article dans le prochain bulletin ...) c'est pourquoi je vous "renvoie la balle". Qu'en pensez-vous ?

A part ça, j'espère que vous allez bien même si je sais que vous devez être un peu déçu que le repas du 5/04 soit annulé.

Je vous salue
Très amicalement
Marc Delmotte (64-68)
Jean Haremza

Georges Hage

jeudi 1 décembre 2016

À PROPOS DE PAUL ET YVONNE DUMONT, PAUL MAJOWSKI A RASSEMBLÉ QUELQUES-UNS DE SES SOUVENIRS ET DE SES RÉFLEXIONS SUR LE MÉTIER D'ENSEIGNANT

Rêveries d'un normalien de la promo 58-62 à l'E.N.G. de Douai

« Monsieur Gavériaux, allez donc nous chercher un rameau ». Jean-Pierre Gavériaux, flatté de la confiance que lui avait témoigné Mme Dumont, quitta son siège en faisant un geste à l'adresse de ses camarades de classe. Le cours d'arts plastiques reprit, Mme Dumont circulait entre les tables, encourageant les uns, conseillant ceux qui, malgré leurs efforts, n'obtenaient pas un bon rendu des  jeux de l'ombre et de la lumière sur les antiques bustes de plâtre. Un rameau ? Je songeais aux ruines romaines gagnées par  la végétation au cours des siècles.

Lorsque Jean-Pierre parut, rameau sur l'épaule, un rameau mais pas vraiment un arbuste, la classe le salua d'un énorme éclat de rire. Impassible, Mme Dumont saisit le rameau qui dépassait en taille ce qu'elle avait commandé. Jean-Pierre déjà très populaire à l'époque, se remit à dessiner sans se soucier du retard occasionné par son incursion dans le parc de l'école normale. 

Mme Dumont était appréciée de tous les potaches que nous étions, habituée à leurs facéties,  mais elle ne pouvait ignorer que nos regards étaient chargés d' une juvénile et admirative amitié. Nous la surnommions Miss Doum-Doum, « Doum » étant l'apocope de « Dumont » . Les promos antérieures nous avaient légué ce surnom. Avaient-ils trouvé un rapport entre « Dum » et « dumm » en allemand ? « Miss » lui allait bien, elle était notre Miss !

Mme Dumont assurait les cours d'histoire de l'art. Les documents nous étaient présentés en amphithéâtre, un antique épiscope projetait une image blafarde obtenue à partir d'un livre glissé dans l'appareil. Grâce à cette technologie rudimentaire nous découvrîmes les  somptueuses fresques du palais de Cnossos. Les belles crétoises, nous contemplaient,  l'oeil souligné de noir. Leurs coiffures libéraient une petite boucle sur le front, une autre plus ample le long du visage. La chevelure de Mme Dumont avait le charme de ces antiques coiffures si raffinées.

Un public restreint était concerné par des séances particulières afin de préparer le concours d'entrée au lycée Claude Bernard de Paris, lieu de formation des professeurs d'arts plastiques. J'en étais, avec peu de chances de réussite, car l'année du Bac me laissait peu de  loisirs pour m'entraîner. En revanche il m'est arrivé de côtoyer Claude Salomon de la 56-60 : j'étais fasciné par sa maîtrise de la technique des hachures obtenues avec plume à dessin et encre de Chine. Il fut admis à Claude Bernard . Alain Carré me signale que Roger Compagnon et Pierre Courtois formaient un trio de passionnés du dessin avec Claude Salomon . Mme Dumont a su guider, encourager ceux qui avaient des aptitudes particulières en arts plastiques. Cette élite pouvait accéder au grade de professeur certifié.

Ces souvenirs ne m'ont pas quitté depuis plus d'un demi siècle. Il fallut cependant que je contacte  Jean-Pierre . Déjà, au cours des assemblées générales, les copains de la 58-62 que je questionnais m'assuraient n'avoir aucun souvenir de l'incident du rameau. Jean-Pierre non plus, à ma grande déception ! Un pur fantasme, donc ? Ce fut l'occasion de discuter avec Jean-Pierre, sa carrière de principal de collège et de formateur de principaux vaut d'être signalée. 

Je revois dans ce passé maintenant si lointain les silhouettes de M et Mme Dumont alors qu'ils se dirigeaient vers leur DS Citroën. L'ample manteau de Mme Dumont ondulait au rythme de la marche, dans l'élégante simplicité de ce qui n'était pourtant qu'une banale routine. Dès qu'ils s'asseyaient, la suspension hydro-pneumatique laissait retomber la carrosserie. Au démarrage l'avant se soulevait dans un mouvement majestueux. M. Dumont avait actionné la commande assistée du levier de vitesse situé derrière le volant monobranche.

M. Dumont nous plongea d'emblée dans la dure réalité du travail intellectuel... avant que l'on ne puisse en recueillir les fruits. Je ne fus pas le seul à obtenir une note catastrophique à la première dissertation. Le choc d'un 6 sur 20 !
J'ai oublié l'intitulé du sujet , il me reste en mémoire qu'il s'agissait du rapport entre la littérature et l'histoire dans la lettre que Corneille adressa à Richelieu. Y étaient évoqués les thèmes de la protection que recherchait l'écrivain et celui de l'image du héros appelant la munificence du grand seigneur.Je ne dispose plus de la copie mais les annotations sont restées gravées dans ma mémoire : « jargon », « fin de correction » au bas de la première page. 

J'avais une haute opinion de mes aptitudes en rédaction, mais il s'agissait des rédactions que j'avais produites en classe de 3ème au  cours complémentaire d'Aniche. 


2 exemples : 

1





















2 Page 1 de l'original

et sa retranscription :


Majowski Paul 3A C.C. Basuyaux Aniche             Mercredi 4 décembre 1957

Rédaction n°5


Note obtenue : 18/20


Vous avez été pris de pitié. Dites dans quelles circonstances. Faites part de vos impressions.



Un vendredi matin des grandes vacances, je partis au marché, cent francs en poche. Maman était contente de moi et, pour me récompenser, m'avait donné de quoi acheter quelque chose au bazar.

Avant de dépenser mon argent, je visitai minutieusement le marché, cherchant à engager avantageusement mon argent. Sur le point de faire demi-tour, j'aperçus un marchand d'oiseaux. Ses bestioles pouvaient être achetées au prix normal ou gagnées à la loterie. Après maintes hésitations je me décidai à prendre un billet.Le cœr battant, je dépliai le billet et je lus : « GAGNÉ ». Je ne pus réprimer un mouvement de joie et je réclamai aussitôt une petite perruche bleu ciel. Je l'obtins tout de suite dans une petite boite en carton faute de cage. Triomphalement, la boite en avant, je pénétrai dans la cuisine.Ma mère s'approcha, curieuse de voir ce que j'avais pu dénicher avec mes cent francs. Je lui dis de bien fermer portes et fenêtres et, d'un geste brusque, je fis sauter le couvercle. La petite perruche bleue s'envola. Ma mère fit retentir son petit rire clair. « Je n'aurais jamais cru que tu aurais pu acheter un oiseau ! » s'écria-t-elle. La surprise était complète.Je me mis rapidement à la fabrication d'une cage pendant que « Juliette » voletait de ci, de là, se posait sur le lampadaire, babillait, visitait les coins et les recoins. Il lui vint à se poser sur le canapé. Le chat, qui suivait attentivement, yeux mi-clos, son manège, bondit soudainement sur elle. Je n 'entendis qu'un cri d'agonie. Quelques plumes voletèrent. L'oiseau dans la gueule, Minet battit en retraite sous le fourneau. Je me précipitai sur lui ? l'attrapai par les poils et me mis à le secouer comme jamais chat ne fut secoué. Avec un miaulement déchirant, il lâcha sa vistime. Le tenant toujours, je le lançai dehors. Ma mère, occupée à repasser, accouirut en entendant ces cris, pour me voir en pleurs, tenant un cadavre dans les mains. « Jésus Maria ! » s'écria-t-elle en joignant les mains, « ce maudit chat lui a fait du mal ! J'aurais dû te prévenir, justement j'y pensais. »
Une douleur indicible m'écrasait le cœur. J'avais peine à respirer. Les larmes coulaient seules, comme si les écluses lacrymales s'étaient soudainement ouvertes. Pour la première fois j'avais dans les mains, sous les yeux, un petit être encore chaud. Pauvre petite Juliette! Pauvre petite martyre ! 
J'essayai de me maîtriser et lui fis, comme je pus, la respiration artificielle. Ensuite je lui mis quelques gouttes d'eau dans le bec et je lui rafraîchis la tête. Par tous les moyens possibles je voulais ramener à la vie ce petit corps inerte qui, il y a quelques minutes, frétillait.
Elle était si belle, cette petite perruche. Je caressai son plumage si délicat, si doux, si joli, du bout des doigts. Je n'osais respirer. Ses petits yeux vitreux semblaient regarder quelquechose si loin, si loin !
« Ah!Le maudit chat!Je le tuerai, je l'écorcherai, je le … je ... » et des sanglots de rage m'ébranlèrent. J'étais révolté contre ce cruel carnassier. Je me promis de ne plus jamais l'aimer ; de le chasser.
Très tendrement, je pressai ce petit corps couleur du ciel contre mon cœur. Je voulais lui céder une partie de ma vie pour le ressusciter. Si, à ce moment-là, ! j'avais pu exprimer un vœu, j'aurais dit à coup sûr : « Que Juliette revienne à la vie !  Mais quoi ! Désirer et soupirer ne mène à rien ! » Mon petit oiseau chéri était mort.
Une dernière fois je contemplai ces plumes azurées, ce bec jaune, ces minuscules pattes jaunes, ces ailes qui ne s'ouvriraient plus.
Il y a une demi-heure à peine, tu étais encore admirée sur la place du marché .Tu allais avoir une belle vie, enviable de bien des perruches et voilà que tu me quittes ! Sous une pluie de chaudes larmes, j'enveloppai le corps mortuaire dans un mouchoir immaculé, en guise de linceul. Le cercueil fut un vieux plumier. Je représentais les pompes funèbres et le cortège. Dans un coin de mon jardinet, j'enterrai le cercueil et j'écrivis sur une minuscule pancate :
« Ci-gît
Juliette chérie
Morte un vendredi. »
Pour une fois je fis exception au proverbe, car n'ayant pas ri vendredi, dimanche à la vue de la tombe je pleurai.

(j'ai fréquenté l'école Basuyaux de 1948 à 1958). M. Dordain  était notre professeur de français, par la suite il devint le principal du collège succédant au cours complémentaire. Ses cours étaient passionnants. Je le revois bondissant, les yeux brillants, tant son enthousiasme était grand. Personne n'eût songé à chahuter tant il nous captivait. Il exigeait des efforts particuliers pour améliorer l'expression écrite. Les pléonasmes que comportait le langage parlé se retrouvaient dans un tableau à double entrée intitulé « les solécismes anichois »  Il fallait en tenir compte dans nos rédactions. On avait écrit en grands caractères sur la page de garde : « Combattre ses fautes ».



À PROPOS DE SOLÉCISMES





Avant la classe de 3 ème le terme « solécisme » m' était inconnu. J'en pris connaissance au cours de l'étude des « Femmes savantes ». Cette pièce de théâtre donna lieu à des cours passionnants. M. Dordain mima avec flamme la scène au cours de laquelle M. Jourdain dit : « C'est à vous que je parle, ma sœur. Le moindre solécisme en parlant vous irrite mais vous en faites, vous, d'étranges en conduite », tout en évitant le regard courroucé de son épouse, pour se tourner vers sa sœur. Nous n'allions au théâtre que tout à fait exceptionnellement, il fallait organiser un transport en autocar pour se rendre à Denain. Pourquoi pas Douai ?

Le premier trimestre à l'école normale en classe de 1ère C (première année à l'E.N.G. donc classe de seconde dans la terminologie du lycée) exigea d'énormes efforts d'adaptation. J'avais été reçu 39ème sur 100  au concours d'entrée, pas mécontent de me situer plutôt dans la moyenne. Le succès n'était pas assuré, même en redoublant. Au premier trimestre l'appréciation lapidaire de M. Dumont tomba comme un couperet : 
                « Très faible. Travail insuffisant »
                 Devoirs  6/20                  Composition 4/20 !!!

J'étais pourtant classé 8ème sur 33 élèves pour l'ensemble des matières. La plupart des élèves rencontrèrent les mêmes difficultés sauf Daniel Neveu. Il avait étudié le latin et peut-être le grec, ce qui ne fut jamais corroboré puisqu'il quitta l'E.N.G au cours du premier trimestre.On comprend que « Popaul », le surnom de Paul Dumont, n'était pas toujours prononcé avec aménité.

J'oubliais les belles notes obtenues en classe de 3ème. Je peux citer en référence une rédaction mais je n'ai gardé aucune dissertation de seconde. Je ne suis pas le seul à constater que M. Dumont ne corrigeait pas au-delà de la première page d'une copie qu'il jugeait mauvaise, les mentions « fin de correction » et « jargon » sonnaient comme une condamnation. Je ne sais plus comment je jargonnais mais je devais jargonner. M. Dumont était un professeur exceptionnel, peut-être avait-il eu des classes de prépa avant sa nomination à l'E.N. , ce qui aurait justifié son système de notation.

Je mobilisai toute mon énergie au cours du 2ème trimestre d'où ce bilan en français :
                  Devoirs 13,66/20            Composition 10/2     « Bien. Intelligent, travailleur »

                   Classé 1er sur 25 élèves dans la classe de 1C.
Le 3 ème trimestre fut moins bon, mais ne dit-on pas que c'est le 2ème le plus important ?
Les promos précédentes ont mis en scène des pièces de théâtre, non pas la 58-62. M. Dumont fut-il gagné par une certaine lassitude ?
Alain Carré m'a surpris quand il m'a déclaré n'avoir pas suivi les cours de M. Dumont  en première année : M. Haremza fut son prof de français. « De mon temps » on avait Zaza en deuxième année, nous, les « croûtons ». Autre style, autre rapport avec les élèves. 

Il ne faut pas croire que noter « largement » signifiait une plus grande popularité pour le professeur. Là encore lorsque nous nous rencontrons entre anciens nous évoquons le « good, eighteen » que M. Dubus octroyait régulièrement à l'oral. 

Au cours de ma carrière de professeur d'anglais j'ai été confronté au problème de la notation. L'œuvre de Henri Piéron (entre autres chercheurs) a été particulièrement éclairante. Pour être bref on peut citer sa comparaison de copies ayant le même contenu, une dactylographiée, d'autres dans des présentations plus ou moins soignées. Les écarts entre les notes étaient énormes. D'où l'intérêt que l'on a porté à la docimologie. Le F.A.P. (plan de formation académique) a introduit les notions d'évaluation normative et d'évaluation formative. En outre nous avons connu cette réforme qui remplaça la notation chiffrée par la notation par lettres. 

Je retrouvai le même effet de seuil si difficile à franchir à l'entrée de l'université. L'école normale de Douai m'avait appris de ne pas me contenter des succès passés. L'excellence réside dans ce qui reste à construire. Je suis redevable de ce que je suis à l'école normale. 

J'explique aux jeunes collègues que le système éducatif actuel n'a plus rien de commun avec ce que j'ai connu. Il fallait réussir l'examen d'entrée en 6 ème pour éviter de passer en classe de fin d'études primaires sanctionné par le « Certif » pour les lauréats. En classe de 5 ème on passait encore un examen : le complémentaire, puis le brevet à l'issue de la classe de 3 ème , ce brevet comportait de nombreuses matières à la différence du brevet des collèges actuel. À l'époque on pouvait trouver du travail, le brevet en poche. Les élèves de la classe de fin d'études étaient réputés difficiles. On les voyait défiler au pas, au rythme du pied gauche tapant sur le sol. Ils avaient des maîtres aguerris comme M. Baudrillard. Les éclats de sa voix puissante résonnait jusque la grand' place d'Aniche. Dans la période de l'après-guerre certains de nos maîtres étaient rentrés de captivité. Il fallait respecter la discipline stricte, personne ne s'étonnait que l'élève indiscipliné recevait des coups de règle sur les doigts.

De fait, les familles aisées qui avaient de l'ambition pour leurs enfants les envoyaient au lycée dans « les petites classes » du primaire, jusqu'en 3 ème, ensuite il allait de soi que c'était encore le lycée, dont le programme offrait l'enseignement du latin, du grec et plusieurs langues vivantes . Les élèves des cours complémentaires qui voulaient poursuivre leurs études entraient au collège moderne, moins « coté » que le lycée. Néanmoins une autre voie s'offrait à une élite composée des meilleurs éléments du c.c. : l'école normale d'instituteurs. Encore fallait-il réussir le concours, pour lequel on pouvait redoubler en classe de 3 ème. De mémoire, à mon époque, se présentaient environ 350 candidats pour 100 places à l'E.N.G., mais 1000 candidates pour 100 places à l'E.N.F. 

Conclusion : on mesure l'ampleur des mutations sociétales au cours de ce regard rétroactif. Le jeune enseignant de mes débuts espérait que l'école puisse changer la société. Est-ce que ce débat a encore cours ? La mutation de l'école normale vers l'I.U.F.M.  puis vers l'ÉSPÉ répond-elle aux besoins de la société ?