Bernard Mutelet, le dernier à avoir dirigé l'école normale d'instituteurs de Douai. Georges Wosik, promo 76 78, nous fournit deux textes précieux sur son arrivée à Douai en 1984 et son départ en 1991

 

Qui se souvient de Bernard Mutelet ? Il fut le dernier des directeurs de l'école normale de Douai, de 1984 à 1991, date de la création des IUFM. Nous lui avons consacré un article sur notre nouveau site normalien (cliquer sur le lien ) mais nous faisons appel à ceux qui l'ont connu pour nous aider à compléter la fiche biographique qui lui est consacrée. Envoyez vos témoignages ou documents à engiufmdouai@gmail.com


En réponse à notre appel, nous avons reçu de Georges Wosik, promo 76 78, ancien Responsable Pédagogique du Site IUFM de
Douai (2011-2012), le message suivant accompagné de 2 textes fort précieux que nous publions ci-dessous :

"Bonjour,

Suite à votre demande, je vous envoie 2 documents que vous pouvez publier dans le prochain bulletin de l'amicale :

- le premier, retrace l'arrivée de Bernard Mutelet à l'ENG

- le second est le discours énoncé par Pierre Herlent le 28 juin 1991 lorsque monsieur Mutelet quitte Douai : c'est en fait un discours qui retrace avec beaucoup de subtilité et d'humour les 7 années de direction  de Bernard Mutelet. Je vous souhaite bonne réception et reste à votre disposition." 
Georges Wosik


Premier texte :


L’arrivée de Bernard Mutelet un 24 août 1984


Après huit années passées à diriger l’Ecole Normale d’Instituteurs de Douai (de 1976 à 1984), Roger Beaucarne est nommé à l’EN de Lille. Fin août, je revois mon ancien Directeur qui m’annonce la venue de son successeur,   Bernard Mutelet en provenance d’Albi : je suis chargé de l’accueillir à l’ENG le vendredi 24 août.
Régulièrement, je guette l’entrée de la rue d’Arras. Brusquement, la sonnerie stridente du téléphone de service retentit vers 17 heures 30 : au bout du fil, une voix qui m’est familière, celle de monsieur Teston, concierge à l’Ecole Normale d’Institutrices. Il me demande de le rejoindre car un certain Bernard Mutelet s’est présenté au 161 de la rue d’Esquerchin prétendant être le nouveau Directeur !

J’arrive au pas de course rue d’Esquerchin : Une Peugeot 604 bleue immatriculée dans le Tarn, attelée à une caravane, barre l’entrée de l’ENF !
Monsieur Teston, visiblement paniqué, m’annonce que ce monsieur qui se tient debout près de sa voiture s’est présenté à lui en déclarant être le nouveau directeur alors que le matin même il avait encore croisé monsieur Élie Savoye (*) et que ce dernier n’avait nullement évoqué son départ de l’ENF !
Je m’avance vers Bernard Mutelet, visiblement surpris par la gêne occasionnée :
- je suis le nouveau directeur de l’Ecole Normale de Douai, j’ai appris ma nomination par téléphone (ministère) il y a peu de temps, me dit-il en toute humilité et en me serrant la main
- je suis bien au courant de votre venue lui répondis-je, en réalité il y a 2 Écoles Normales à Douai ! Vous n’êtes tout simplement pas à la bonne adresse !
Quiproquo levé, donc ! En soirée, après avoir échangé longuement avec mon nouveau Directeur, Bernard Mutelet m’a donné l’explication de son arrivée à l’ENF : lorsqu’il était IEN à Roubaix, il était venu en tant que membre d’un jury à l’ENF et il ignorait que Douai comptait sur son territoire deux écoles normales distinctes.
(*) : Élie Savoye a été directeur de l’ENF de 1983 à 1988. Il est décédé en 2011. (M. Chabbert deviendra le premier directeur d'un I.U.F.M. qui regroupe les deux ex-Écoles Normales, et voit " la Chute du mur de Douai ").                                      
                                                          Georges WOSIK

deuxième texte :


Discours de Pierre Herlent (professeur agrégé de Lettres à l’ex.ENG) lors du départ de Monsieur Mutelet et de Mademoiselle Vandrisse 

(Discours prononcé le 28 juin 1991 dans la chapelle de l’ex ENG)

Monsieur le Directeur, madame l’Attachée d’Intendance, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

 Lorsqu’un nouveau venu prend ses fonctions dans un établissement, les discours qui l’accueillent -pour sympathiques qu’ils soient- n’en demeurent pas moins, d’une relative brièveté. Il n’en est pas de même lorsqu’ils s’en vont. Je vois deux raisons à cet état de fait :
La première est que les nouveaux arrivants sont souvent peu connus, mal connus, voire totalement inconnus de ceux qui les reçoivent comme collègues ;
La deuxième, surtout lorsqu’il s’agit de personnalités dotées d’un pouvoir dirigeant, parce qu’il est prudent de rester prudent, et de ménager l’avenir.
En revanche, la même circonspection n’est plus de mise le jour d’un départ : il n’y a plus d’avenir à ménager. En outre, dans l’intervalle des liens ont été noués, tout un passé de bons et de mauvais moments s’est tissé avec lesquels il faut comme au rugby, opérer une sorte de transformation : les faire entrer dans la mémoire. C’est, je crois le sens des mots que je vais prononcer maintenant, même s’ils n’engagent que moi et si chacun à accomplir pour lui ce travail de catharsis.

Vous m’avez confié un jour, sous le sceau du secret, c’est-à-dire, probablement dans la galerie, qu’avec la maturité, sinon une passion, du moins un goût plus prononcé vous était venu pour l’histoire. C’est donc en historien que je tenterai de dresser à grands traits le bilan de ces années que vous avez passées dans notre ancienne Ecole Normale. Je ne doute pas que, ce faisant, je fasse la preuve, à l’inverse que je n’ai jamais eu le moindre talent pour entretenir avec Clio, la muse qui vous chatouille, autre chose que des rapports de bon voisinage. Ces années que vous avez passées ici comme Directeur, la tentation est forte de les désigner par les mots de « règne », ou de septennat. S’il m’arrive d’employer ces termes, j’espère qu’on n’y entendra pas malice : je n’en ai pas trouver d’autres. Le mot « mandat » ne convient évidemment pas. Qu’on admette donc qu’il s’agit de simples métaphores.
Je commencerai par votre travail à l’intérieur. Certains s’attendent peut-être à des révélations fracassantes sur votre service de renseignements, à l’ouverture d’un dossier sur des micros secrets, des écoutes téléphoniques. Je ne m’y risquerai pas. Vous avez sans doute été informé, mais je laisse aux oubliettes de l’histoire, l’entier mystère de ce savoir faire.
On m’a dit aussi que vous aviez eu en matière de cabinets -c’est bien du domaine de l’intérieur dont je parle- une politique audacieuse, marquée par un égalitarisme volontaire et une opiniâtreté à l’égard notamment des services de mademoiselle Vandrisse qui fut triomphante. Vous en parlerez peut-être et sans doute mieux que moi.
Non, ce que je voudrais souligner aujourd’hui, d’un point de vue purement professoral peut-être, dont je m’excuse, c’est la somme considérable de papiers que vous nous avez fait remplir :
- vous avez toujours eu une affection particulière pour les cahiers d’U.F.(1), témoins de l’activité débordante de cette école ;
-vous avez agi avec insistance pour que soient établis avec les élèves ces contrats irréprochables que nous appelions « plans d’U.F. (2) et qui devaient nous assurer de solides arrières ;
-vous avez rétabli, pour ce qu’un collègue (3) aujourd’hui émigré dans le Velay appelait la « levée d’écrou », à savoir les autorisations de sortie, la règle qui consiste à les remplir en triple exemplaire, conformément sans doute à un article précis du règlement que vous sauriez nous citer de mémoire ;
- vous avez présidé à la refonte de ces cahiers de stages pour lesquels les instituteurs et les formateurs ont toujours montré des sentiments mitigés ;
- enfin, vous avez eu un respect très particulier pour ce cahier de concertation, recueil de nos décisions communes, dont vous aviez grand soin de vérifier l’inscription surtout quand elles émanaient de votre pensée par un péremptoire « notez monsieur Wosik » et où personnellement je n’ai jamais retrouvé la substance de mes interventions pourtant subtiles. Avez-vous conscience, madame l’Intendante, d’avoir financé ces dépenses somptuaires en papier et d’avoir ainsi contribué sinon au déboisement du patrimoine français, du moins au déficit de la balance nationale ? Quoi qu’il en soit, monsieur le Directeur, vous laissez derrière vous des archives colossales. A ce propos, laissez moi poser une question et exprimer une inquiétude : que vont devenir ces papiers précieux, témoins d’une vie exubérante, d’une créativité inépuisable et des conflits inévitables qui les ont ponctués ? Les avez-vous microfilmés ? Avez-vous songé à les mettre à l’abri de l’envahisseur ? Nul doute qu’ils pourraient servir à nourrir un jour, la réflexion d’un chercheur en Sciences de l’Education s’interrogeant sur la protohistoire des Centres Universitaires de Formation des Maîtres.
Si j’ai bien compris, en matière de gouvernement, votre regard a toujours été tourné vers l’Est. Le concept de perestroïka, devenu dans votre bouche la transparence, a été une clé de voûte de votre septennat. C’est à vous, plutôt qu’aux événements relativement récents des pays Baltes que nous devons d’avoir ouvert les yeux sur les limites d’une politique inaugurée par monsieur Gorbatchev. Et il me semble que dans les signes lisibles aujourd’hui, on peut relever, qu’au moment où vous partez pour Villeneuve d’Ascq, vient au premier plan monsieur Elstine, grâce auquel vous pourrez modifier vos chevaux de bataille. Vous voilà peut-être entré dans une phase de libéralisme centraliste ?

Mais venons-en aux relations extérieures : j’irai vite. Vous avez été un homme d’accueil et d’ouverture sur l’étranger. Je ne citerai pas ici les divers organismes qui ont trouvé asile dans notre enceinte. Mais c’est à vous que nous devons d’avoir reçu plusieurs années de suite des étudiants marocains ainsi que des religieuses venues du Liban. Cette ouverture de nos frontières est indéniable, et sont tout à votre honneur. Elles ont valu, à mademoiselle Vandrisse et moi-même, une visite nocturne du métro de Lille qu’elle ne connaissait pas. Nous avions pris, avec le professeur marocain que nous chaperonnions, la place fictive du conducteur ; le vent s’engouffrait dans nos cheveux, la vitesse nous grisait, nos yeux scrutaient l’obscurité blafarde… Une tranche de vie dont je me souviendrais longtemps et que nous devons à vous, monsieur le Directeur.
Nos pires ennemis sont nos voisines les plus proches. Vos rapports avec nos collègues de l’Ecole Normale d’Institutrices ont toujours été d’une extrême rigueur comparable, mutatis mutandis, aux réticences d’une madame Thatcher vis à vis de ses partenaires européens ou plus lointainement d’un certain Général.
Vous avez su faire taire les sirènes d’une collusion trop rapide, bien qu’inéluctable aujourd’hui. Tout en ménageant la nécessaire collaboration, vous avez su maintenir les distances garantes de l’identité des uns et des autres. Bref, pour prendre un langage imagé, vous avez pratiqué la politique de la petite porte ouverte, sans adopter celle de la démolition des murs.
Néanmoins, lorsque vous êtes arrivé, à Douai, un certain 24 août 1984, par la voie royale de la rue d’Esquerchin, il paraît que c’est au numéro 161 que vous vous êtes présenté. Permettez-moi d’émettre ici une question et ce n’est plus l’historien qui analyse mais la psychologie des profondeurs qui s’interroge : n’y-a-t-il pas eu dans cet acte manqué, les prémices douloureux d’un désir latent, refoulé, la naissance d’un amour d’autant plus violent et ambigu qu’il ne trouva jamais son accomplissement ?

Les grands règnes sont des règnes de bâtisseurs. Les grandes civilisations laissent des temples. Je n’en finirais pas d’énumérer, les pyramides, le Parthénon, Versailles, le Centre Pompidou, l’Arche de la Défense… Je compte à votre actif, et à celui de madame la surintendante, avec laquelle vous formez le couple infernal dans l’Histoire, non seulement d’avoir contribué au maintien du monument aux vivants que votre prédécesseur (4) avait érigé, en exigeant sa restauration par les mains iconoclastes qui l’avaient endommagé -lors d’une invasion barbare- mais encore d’avoir ajouté à l’embellissement de notre parc, en présidant à la construction, en apparence plus modeste, mais bien mieux située, d’un canon solaire.
Permettez-moi une rapide et superficielle étude comparative de ces deux chefs-d’oeuvre : ils sont tous deux situés dans les extérieurs et destinés à braver les intempéries. Que feraient-ils dans une de nos salles ? Ils sont constitués l’un et l’autre des mêmes matériaux : une base de maçonnerie, une ornementation de terre cuite et vernissée. Ils comportent chacun des inscriptions. Face à l’avenir qui nous préoccupe tous, je me pose néanmoins quelques questions. Nos petits enfants de l’an 2000, devant ces énigmes architecturales sauront-ils encore reconnaître que la spirale du monument aux vivants a été calculée approximativement dans un rayon variable sur la trajectoire de la comète de Hallez ? Sauront-ils deviner que votre fameux canon, que je n’ai jamais entendu fonctionner, pareil à l’Ixion cher à Apollinaire, vous savez, ce personnage mythique qui engrosse les nuages, ce fameux canon dis-je, est autre chose qu’un hymne vibrant et sempiternel, aux brumes, aux brouillards, à la bruine du printemps et à tous les miasmes polluants ?
Il est temps de citer pour montrer l’ultime élégance de votre fin de règne un proverbe anglais. Excusez mon accent : « When the boat sinks, the captain has to drink the cup », ce qui veut dire : quand le bateau coule, le capitaine doit boire la tasse. Vous avez réussi, monsieur le Directeur, madame l’intendante, à faire coïncider la fin des Ecoles Normales avec la fin de votre fonction, si bien que j’en suis intimement convaincu, personne n’évoquera avec nostalgie les figures marquantes qui ont présidé à ces temps. Pour ma part, j’espère avoir contribué modestement à célébrer l’événement de cette révolution, au sens où quelque chose est maintenant révolu.
Il me fallait pour terminer une dernière métaphore : vous affectionnez les comparaisons guerrières. Combien de fois m’avez-vous dit que vous étiez, que nous étions « toujours sur la brèche ! » J’informe au passage les populations qu’une brèche vient de s’ouvrir à Villeneuve d’Ascq. Je crains néanmoins que cette image ne donne à notre Education Nationale la réputation d’être un peu ébréchée. La métaphore que je choisirai est d’ordre sportif : au moment où vous prenez un nouveau départ sur les starting-blocks de l’IUFM, je souhaite que vous entriez d’un pas allègre et entraîné dans la destinée incertaine qui s’ouvre ainsi, en vous souhaitant qu’elle vous mène quelque part !
Et puisque vous partez, monsieur le Directeur, madame l’Intendante : A VOS MARQUES !

                                        Pierre HERLENT


(1) cahiers d’U.F : cahiers des unités de formation. Documents rédigés par les formateurs quant aux contenus disciplinaires à dispenser 
(2) plan d’U.F : déroulement de l’unité de formation à l’intention des élèves instituteurs (modalités d’évaluation)
(3) il est fait référence à Marcel Laisne (collègue de français) qui avait obtenu sa mutation pour l’Ecole Normale du Puy en Velay.
(4) Roger Beaucarne avait fait ériger en 1983 un monument aux vivants où figuraient les noms d’anciens normaliens ayant une fonction élective






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