Stupéfiant voyage à travers l'Éducation nationale, un récit autobiographique de Bernard Waymel publié en 2020 et dont nous extrayons les pages consacrées à son passage à l'école normale d'instituteurs de Douai

 


Bernard Waymel debout à droite parmi ses camarades de la promo 66 71 lors du dernier banquet de l'amicale des anciens normaliens de Douai le 2 avril 2023

Ci-dessous la Couverture du livre écrit par Bernard Waymel et édité sur AMAZON dont voici le lien :








Extrait de la notice bibliographique de l'éditeur :

56 années dans l’Éducation nationale, de son entrée à l’école du village, à l’âge de 6 ans, jusqu’à son départ en retraite à 62 ans. L’auteur nous décrit son parcours et surtout l’environnement dans lequel il a évolué. Témoin d’une époque qui paraît quelque peu désuète il cite de nombreuses anecdotes relatives à sa vie d’élève. Nous l’accompagnons ensuite à l’université (...). Puis passé de l’autre côté de l’estrade, il nous dévoile un monde un peu mystérieux pour la grande majorité des français, ceux qui n’ont connu l’école qu’en tant qu’élève ou parent d’élève. Nous le suivons aussi dans sa découverte progressive de toutes les aberrations et absurdités du système éducatif (...).



Voici la reproduction du passage consacré à l'école normale de Douai :

Dans l’École normale de mon département il n'y avait que deux statuts possibles pour les élèves, celui bien connu d'interne ou pensionnaire et celui d'interne externé que je découvris à mon arrivée dans cet établissement. Le statut d’interne externé était réservé aux élèves ayant leur domicile à proximité de l’école. Ils ne retournaient chez eux que pour dormir, ils quittaient l'école après la dernière étude du soir et devaient être de retour pour le petit-déjeuner. Habitant à plus de 50 km de l’école j'étais interne. Les conditions d'hébergement étaient nettement meilleures qu'au collège puisque nous dormions dans des chambres de huit, chacun ayant sa propre armoire. C'était le grand luxe. 

Mes parents m'accompagnèrent en voiture à l'école normale le soir précédant la rentrée des classes. Nous avions respecté scrupuleusement la liste des fournitures imposées par l'école : les vêtements et sous-vêtements marqués à mon nom, la blouse de couleur blanche, les cadenas destinés au pupitre et au casier à chaussures, le balai, etc. La literie était fournie par l'école. Notre promotion, celle qui entrait en classe de seconde, portait une blouse blanche mais la promotion précédente scolarisée en première était en gris tandis que la blouse bleue caractérisait les élèves de terminale.  

C'est le conseil général1 qui assurait l'entretien des écoles normales et finançait les frais d'internat car nous n'avions rien à payer pour le gîte et le couvert. En contrepartie, le personnel de service était inexistant en dehors de la cantine. Le nettoyage des locaux et des espaces extérieurs était assuré par les élèves eux-mêmes. Après le petit-déjeuner chaque élève balayait la zone qui lui avait était attribuée, salle de classe, chambre à l'internat, portion de couloir, ratissait une piste sur le terrain de sport ou encore ramassait les feuilles sur un espace vert ou les vieux papiers traînant dans la cour. Dans notre salle de classe, nous étions l'un après l'autre « de tableau ». Cela consistait à nettoyer le tableau à l'eau le matin puis, en cours de journée, à foncer vers le tableau pour l’effacer chaque fois que le professeur en faisait la demande. Je n’ai jamais vu un professeur utiliser lui-même la brosse à effacer.  

L'hébergement était de bonne qualité, on ne pouvait vraiment pas accuser le département de mesquinerie. Au réfectoire nous mangions par table de six, la nourriture était bonne et variée. Il y avait de la bière à table au repas de midi, appelé le dîner dans notre région, au goûter ainsi qu'au souper, une bouteille pour six. L'internat restait ouvert le dimanche. Il n'accueillait alors qu'un nombre restreint d'élèves, ceux qui habitaient loin de l'école ou ceux qui se sentaient mieux à l’école que chez eux. Le dîner du dimanche était un véritable festin, nous avions même droit au vin, une bouteille par table de six. L'une des revendications des élèves en mai 1968 fut d’avoir du vin à table tous les midis de la semaine. Elle fut satisfaite à la rentrée scolaire suivante. 

Les emplois du temps étaient très concentrés sans heures de permanence ou de temps libre. Mais nous avions des études surveillées obligatoires, une heure le midi et deux fois une heure et demi le soir avant le repas et autant après, soit quatre heures au total. Il n'y avait pas suffisamment de devoirs à faire ou de leçons à apprendre pour occuper tout ce temps, aussi nous lisions beaucoup. L'école disposait d'un centre de documentation avec de nombreux journaux et revues ainsi que d'une bibliothèque dont la plupart des livres étaient reliés. 

Nous avions cours aussi bien le jeudi matin2 que le samedi matin. Et les devoirs surveillés n’empiétaient pas sur le temps d’étude, au moins en classes de première et terminale. En effet ces DS étaient organisés le samedi après-midi et surveillés par des pions. Ce qui fait que de nombreux élèves qui habitaient assez loin dans le département ne rentraient chez eux que tard le samedi soir et il devaient parfois reprendre la route du retour le dimanche soir car il n’y avait pas de moyen de transport leur permettent d’arriver à l’heure le lundi matin. 

Il me semble avoir moins de souvenirs de mes professeurs d’école normale que de ceux du collège. En seconde nous avions un professeur de mathématiques, un maître-auxiliaire vraisemblablement, qui respectait scrupuleusement le livre, il aurait pu se dispenser d'écrire le cours au tableau et se contenter de nous faire copier le manuel. On sentait quand même un petit investissement de cet enseignant dans les corrections des exercices et problèmes qu'il nous donnait à faire. Mais peut être disposait-il du livre du maître avec des corrigés modèles. En classe de première notre professeur d'allemand était une brute qui nous traumatisait. Ayant obtenu la meilleure note de la classe à une composition trimestrielle d'allemand j'avais été envoyé au tableau pour faire la correction. Soudain j'ai vu arriver sur moi la brosse à effacer le tableau et je n'y ai échappé que de justesse. Une façon de me faire comprendre que j'avais fait une faute stupide. Notre professeur de français en première et terminale était un communiste notoire qui passait au moins la moitié du temps en digressions sur des sujets de société ou des questions d'histoire mais il m'a fait apprécier le français, moi qui était plutôt scientifique, et permis d'obtenir une note correcte au baccalauréat.  

Une des particularités de l’École normale était que l’enseignement du dessin et de la musique était obligatoire, à raison d’une heure par semaine pour chacune de ces disciplines. Normal, la plupart des élèves allaient devenir instituteurs et seraient donc obligés d’apprendre le chant et le dessin à leurs élèves du primaire en vue du certificat d’études primaires qui comportait une épreuve dans chacune de ces matières. 

Chaque classe avait sa propre salle. Il y avait cependant quelques salles spécialisées pour la physique-chimie, l’histoire-géographie, le dessin, la musique et l'anglais. J'ai d'abord connu la salle d'anglais équipée uniquement d'un magnétophone. Puis elle a été équipée en laboratoire de langue. Juste après l’installation de ce laboratoire notre professeur d’anglais nous fit une démonstration. Il distribua les casques, nous invita à les brancher et à les mettre sur la tête, nous fit écouter un texte, nous montra qu'il pouvait nous interroger par le biais de ce casque et demanda à quelques volontaires de lui répondre. Puis il rangea le matériel dans une armoire. Définitivement.  

Le concours d'entrée à L’École normale était très sélectif mais certains lauréats avaient bien de la peine dès la classe de seconde. Comme le doublement de la classe de seconde n'était pas autorisé, les normaliens qui n'obtenaient pas la moyenne en fin de seconde étaient exclus de l'école. On ne leur demandait cependant pas de rembourser leurs frais de scolarité. Il n'en allait pas de même pour les abandons volontaires, très peu nombreux, d'élèves en première ou terminale. La seule façon d'éviter de payer une somme relativement importante pour des jeunes issus généralement de familles modestes était de s'engager dans l'armée. J’ai donc connu quelques camarades de classe qui rêvaient d’être instituteurs mais qui sont devenus militaires. 

Le recrutement par concours amenait aussi d'excellents élèves. L’administration considérait que les faire devenir instituteurs aurait constitué un gaspillage de ressources. Après leur réussite au baccalauréat les meilleurs quittaient donc L’École normale pour une classe préparatoire aux grandes écoles ou pour le centre départemental de formation de professeurs de collège. Les autres suivaient une formation pédagogique d'une année – deux années à partir de 1969 – pour obtenir leur diplôme d'instituteur3. Tous bénéficiaient alors d'une rémunération d’élève-instituteur. 

Est-ce que les études en autodiscipline furent une revendication des normaliens en 1968 ? Toujours est-il qu'à la rentrée suivante nous n'avions plus de surveillants pour les études du soir, qui avaient lieu dans notre propre salle de classe. Nous eûmes alors droit à un perpétuel brouhaha quand ce n'était pas du chahut. Les tentatives des délégués de classe – à compter de la rentrée de septembre 1968 chaque classe élut deux délégués – pour ramener le calme et obtenir une ambiance de travail s'avérèrent vaines. Une pétition réclamant le retour des surveillants fut alors lancée et signée par un grand nombre d'élèves. Les surveillants qui n'avaient pas disparu mais prenaient du bon temps dans leur bureau reprirent alors leur place dans les études au grand soulagement de la plupart des normaliens.  

L'année 1969 fut marquée par une grève assez dure qui toucha les classes de seconde à terminale de nombreuses écoles normales de France. A l'origine une rumeur selon laquelle le ministère s'apprêtait à reporter le recrutement des élèves-instituteurs au niveau du baccalauréat. Dans mon école il n'y avait qu'un élève non gréviste. Le professeur de mathématiques prétendait lui faire cours. Le comité de grève de l'école s'installa alors dans la salle de classe de cet élève. Quelques représentants de l'école partirent à Paris rejoindre une sorte de comité national de grève. A leur retour ils étaient devenus trotskystes. Ce n'est que plus tard que nous avons compris que le mouvement avait été lancé dans des écoles normales de la région parisienne par un groupuscule trotskyste. Au bout de cinq jours, en l'absence de résultat, une certaine lassitude s'empara d'une grande partie des élèves et la reprise des cours fut votée lors d'une assemblée générale suite à l'intervention d'un de nos professeurs, responsable national du syndicat des professeurs d’Écoles normales. Il nous affirma qu'il revenait du ministère et qu'il avait obtenu l'assurance que rien ne serait changé quant au recrutement des futurs instituteurs.  

Ce n'est que bien des années plus tard que j’apprendrai que ce syndicat avait négocié avec le ministre de l’Éducation nationale Edgard Faure, le 6 mai 1969, c’est-à-dire peu de temps après cette grève, la transformation des Écoles normales en centres de formation des maîtres recrutant après le baccalauréat. Je pense que ce professeur, très bon enseignant par ailleurs, avait sciemment menti pour faire cesser la grève. Il ne cachait pas qu'il était membre du parti communiste et le parti communiste voyait d'un très mauvais œil ce mouvement de grève plus ou moins contrôlé par les trotskystes.  

Après une année passée en seconde scientifique4 je fus orienté vers la première C5 suivie d’une terminale C. Pour le baccalauréat j’eus à passer 5 épreuves obligatoires : les mathématiques, la physique-chimie et le français à l’écrit ainsi que l’anglais et la philosophie à l’oral. Si je n’avais pas obtenu 12 de moyenne il m’aurait fallu aller au rattrapage et aussi passer une épreuve supplémentaire tirée au sort en fin d’année entre histoire-géographie et sciences naturelles. Par ailleurs l’éducation physique n’était comptabilisée que comme une matière facultative, seuls les points au-dessus de 10 étaient pris en compte. 

Ayant obtenu mon baccalauréat avec mention très bien, je quittais l’École normale pour une classe préparatoire aux grandes écoles en vue de préparer les concours d'entrée aux Écoles normales supérieures. Avec le statut d'élève-instituteur – c’est ainsi que l'on nommait les normaliens en formation professionnelle après l’obtention du bac – détaché en classe préparatoire aux grandes écoles. Une appellation pompeuse. Mais une rémunération mensuelle de l'ordre de 800 francs6


1 On dit maintenant conseil départemental. 

2 Rappelons que le jeudi restera le jour de congé dans le primaire et en collège jusqu’en 1972.

3 Jusqu’en 1968 le niveau bac + 1 suffisait pour devenir instituteur, à condition de passer le concours en fin de troisième.

4 Eh oui, dès la seconde il fallait choisir entre voie scientifique ou voie littéraire. 

5 En première la voie scientifique se scindait en 2 séries, C à dominante mathématique et D avec plus de  sciences naturelles. 

6 Le SMIG brut mensuel s’élevait alors à 566 francs.


Ci-dessous copie de l'avis d'admission des 5 normaliens en classe préparatoire d'École Normale Supérieure au Lycée Faidherbe de Lille : Waymel, Preux, Thys, Denhez et Germano



Réaction à l'article ci-dessus :


Marie-Paule Déruelle
Nous, comité 68 des EN Douai, avions réclamé le niveau licence, et 2 années de formation professionnelle, ayant personnellement ressenti combien 1 seule année (écourtée avec mai 68) était insuffisante pour aborder sa classe !



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