PROPOS D'UN ASSISTANT D'ANGLAIS SUR SON ARRIVÉE À L'ENG EN SEPTEMBRE 1947




VOICI UN ARTICLE PARU DANS "REFLETS" DE FÉVRIER 48, SIGNÉ "C.LIPTON, ASSISTANT D'ANGLAIS À L'ENG DE DOUAI SOUS LE TITRE :


A TRAVELLER'S TALE 
(REMARQUES D'UN VOYAGEUR)

"Mes goûts culinaires sont des plus délicats : il y a des plats qu'il m'est non seulement impossible de manger, mais même de regarder.
Quand, en Angleterre, mes amis me dirent que les français mangeaient  des cuisses de grenouilles et des escargots à chaque repas, imaginez quelle horreur fut la mienne.
Depuis Londres, mon voyage tout entier fut un véritable purgatoire, et, traversant la Manche, il m'arriva pas, à plusieurs reprises de croire apercevoir des grenouilles et des escargots nageant par milliers.
Mon soulagement fut grand quand, arrivé à l'EN, je trouvais seulement sur la table, un bol, du pain et de la confiture.
Or, le petit déjeuner se passe différemment en Angleterre ; j'attendis, afin de voir exactement comment manoeuvrer les aliments étalés devant moi.
Comme il est impoli de dévisager les gens quand ils mangent, j'ai essayé de prendre un air indifférent. Mais, en réalité, je m'efforçais d'observer les autres du coin de l'oeil, à tel point que les yeux me sortaient de la tête, jusqu'à se perdre dans le bol du surveillant assis à coté de moi.
Puis, je commençais.
D'abord, je ne m'étais pas rendu compte qu'en France, vous êtes soucieux des choses de la vie au point d'aiguiser vraiment vos couteaux ; aussi coupais-je ce que je pensais être du pain, en fait un morceau de chair savoureuse (je suis persuadé que la nature m'a pourvu d'une appétissante configuration ; car étant donné le rationnement et le prix élevé de la viande, les moustiques de la Scarpe n'ont cessé de m'arracher des morceaux entiers de ma personne ; quand ils auront tout mangé je pourrai dire, comme Rupert Brook, un poète anglais de la guerre 1914-1918 : « Pensez simplement de moi qu'il y a dans une terre étrangère un coin à jamais anglais").
Bref, après m'être ensanglanté les doigts, je pensais qu'il était temps d'attaquer la confiture. Les choses se passèrent raisonnablement bien, jusqu'au moment où je m'aperçus qu'il fallait absolument tremper la tartine dans le bol de café.
Je m'efforçais  de paraître plein de confiance, souris largement à la ronde et essayais à nouveau.
Peine perdue. Je réussis seulement à engluer les manches de mon veston, mon col et ma cravate. Aussi sortis-je pour une courte promenade dans le parc. Je m'aperçus que les élèves me regardaient très attentivement, tout en murmurant entre eux. Je commençais  à me sentir très inquiet : « ai-je réellement l'air si drôle ? » me demandai-je. « Si oui, ils sont plutôt cruels de me le faire sentir à ce point ».
En écoutant bien, je découvris qu'ils répétaient  souvent un certain mot. 
Était-ce un terme du code secret que les étudiants français emploient quand ils conspirent contre leurs malheureux profs ? Non, il ne s'agissait pas de cela car ils me dirent plus tard que je ressemblais à Cerdan qui venait de remporter le titre de champion du monde. Oui, c'était là le mot magique : Cerdan ; et, quelques grands que soient mes péchés durant mon séjour en France, je suis sûr que le nom de Marcel Cerdan me les fera pardonner."
C. LIPTON

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