LA COMPAGNIE DU MASQUE , PAR PHILIPPE CNUDDE ET YVES DELETTE (56-60)

La compagnie du masque


Il est difficile d’expliquer la fascination qu’ont exercée les marionnettes sur moi dès mon plus jeune âge. Comment des poupées de chiffons et de papier, bien manipulées, deviennent vraiment vivantes et nous entraînent dans leur monde magique ( je ne parle pas de l’agitation frénétique des guignols !). De fait, dès l’âge de 10 ans, je construisais des marionnettes à gaine, à tête de terre glaise peintes et vernies, dont je cousais plus ou moins adroitement les robes. Et certains jeudis j’organisais des représentations pour mon frère, ma sœur, mon neveu et souvent mes copains (il faut croire que ce n’était pas si mauvais car ils restaient au lieu d’aller jouer au foot !). Il a fallu, bien sûr, construire un castelet avec quelques lattes et du tissus et même monter un projecteur avec une petite lampe à pince. Les branchements électriques n’étant pas mon fort, j’ai d’ailleurs fait sauter les plombs du compteur, provoquant l’intervention d’EDF, et une sévère punition de mes parents.
CLAUDE FLOREQUIN

Toujours est-il qu’arrivant à l’E.N. en 1956 ma passion était toujours vivante et j’ai réussi à convaincre des copains de créer un club de marionnettes. Il faut préciser qu’à cette époque il existait un grand nombre de clubs : jazz, photo, anglais. Ces clubs fonctionnaient le soir car nous avions le choix entre l’étude et les clubs. La création du club a été agréée par la direction. 
JEAN-PIERRE ÉCHEVIN
L’équipe se composait de Yves Delette, Jean Pierre Echevin, Claude Florequin, Marc Grivillers et moi-même (Philippe Cnudde). Les marionnettes à gaine que nous avons construites avaient une tête en papier mâché, peintes et vernies, et nous avons courageusement cousu leurs robes (avec l’aide quand même des mères, sœurs et petites amies). 
MARC GRIVILLERS, DIT "MARCUS"
Le spectacle que nous avons monté était « Ali Baba et les quarante voleurs ». Rassurez vous nous n’avons pas construit quarante marionnettes mais nous faisions repasser plusieurs fois les mêmes. Bien sûr, il nous fallait un castelet démontable. Le père d’Yves Delette, qui était mécanicien nous a proposé d’en construire un, en tubes d’acier, dont les morceaux filetés pouvaient s’assembler facilement. Nous disposions de deux projecteurs et d’un Teppaz pour les fonds sonores. Nous avons décidé de décorer le haut de notre castelet avec un masque blanc et notre troupe s’est donc baptisée « La compagnie du masque »
PHILIPPE CNUDDE, DIT "PHIL"
Nous voilà donc parés, restait à trouver le public. Le problème était que les jours où nous étions libres, les enfants n’étaient pas à l’école non plus. Il nous a donc fallu demander des autorisations d’absence et ça n’était pas joué ! Mais à notre grande satisfaction, Monsieur Mériaux n’a fait aucune difficulté, précisant même « À l’Ecole Normale nous ne formons pas des bacheliers mais des éducateurs » (à bon entendeur salut !). Ainsi au cours de l’année de première, nous avons réussi à faire plusieurs représentations chez des instits amis et même au sana de Berck. Nous nous déplacions en train et le matériel était lourd. Bien sûr il nous est arrivé plein de d’incidents drôles comme la fois où pensant jouer devant une classe, nous nous sommes retrouvés devant l’école entière, inutile de dire la difficulté que nous avons eue à nous faire entendre, ou encore celle ou le moteur du Teppaz s’étant arrêté il a fallu que Marcus le fasse tourner à la main pour assurer le suivi du fond sonore !
YVES DELETTE

L’année de terminale, nous avions décidé de monter « la petite sirène » sur un scénario très poétique écrit par un ami. Nous avions pensé à un décor sous-marin monté sur un rouleau permettant ainsi de monter ou de descendre dans les abysses. Les méduses étaient nos mains recouvertes de tulle etc.…Malheureusement l’amie institutrice qui devait prêter sa voix à l’héroïne nous a fait faux bond et la préparation du bac nous a assez occupés. La compagnie du masque a cessé momentanément ses activités.
Devenu étudiant j’ai continué les marionnettes avec ma compagne. Après un stage de perfectionnement au C.E.M.E.A. nous avons envisagé de faire notre carrière dans ce domaine. Nous sommes montés en 2CV jusqu’à Prague pour rencontrer Jan Petit, directeur de l’Académie des arts musicaux. C’était en effet une des plus grandes écoles de marionnettistes au monde, avec des professeurs prestigieux comme Jiri Trnka. Les études duraient 5 ans, il nous fallait obtenir une bourse. Nous étions déjà boursiers des I.P.E.S. et notre demande a été rejetée. Notre carrière de marionnettiste professionnel s’est donc arrêtée là. Nous sommes restés, bien sûr, fidèles à nos chères poupées. Membres de l’U.N.I.M.A. nous avons participé au festival international de Charleville. Nous avons monté plusieurs spectacles dans les colos ou des réunions publiques politiques ou syndicales. Puis notre métier de prof nous ayant mobilisés, nous avons réservé nos petits spectacles aux amis.
Cependant, la « compagnie du masque », sans que nous le sachions, avait repris vie entre les mains d’Yves Delette, les marionnettes sont restées pour lui au centre de sa vie. Je lui laisse donc la parole.
PHILIPPE CNUDDE

En effet, mon père ayant construit le castelet, les amis marionnettistes, lors de notre séparation m’ont laissé tout le matériel, Ali Baba est donc allé dormir au grenier de mes parents. Plusieurs années ont passé … deux années de service militaire dont une en Algérie, puis le C.P de l’école des garçons de Sous le Bois Maubeuge ; vint le temps des colonies de vacances, la formation BAFA suivie à Phalempin avec les C.EM.E.A durant nos années d’Ecole Normale m’ont permis de devenir moniteur puis directeur de la colonie de la ville de Louvroil
Après trois années, en 1965, mon équipe de moniteurs était devenue très professionnelle. Je leur ai parlé du matériel entreposé chez mes parents. Tous ont été partant pour faire revivre la compagnie du Masque, reprendre le programme ainsi que les séances dans les écoles des environs avec l’accord de Monsieur Asseman notre I.D.E.N et les spectacles dans les hôpitaux de Berck où j’avais conservé quelques filleuls. Un jour, à notre grande surprise, nous avons reçu un courrier de Michel Péricard de l’O.R.T.F qui nous demandait notre accord pour que notre troupe fasse le sujet d’une émission « Jeunesse Active ». Il avait été informé de notre existence pour un éducateur de l’Institut Calot. L’équipe de télévision, nous a suivi toute une journée et nous avons eu l’honneur d’un passage sur la chaîne nationale.
La compagnie du Masque était devenue internationale (nous avons fait des spectacles au Luxembourg et dans plusieurs villes de France). Quand Philippe vous dit que les marionnettes sont restées le centre de ma vie, j’ai dû présenter notre jeune troupe à un Inspecteur de la Jeunesse et des Sports, lui-même ancien instituteur de cours préparatoire qui a découvert que mon action au sein de l’amicale laïque ne se limitait pas à l’animation marionnettes mais participait au Labo-Photo, au tennis de table puis au volley ball.
Un poste d’assistant départemental de jeunesse et d’éducation populaire m’a été proposé, ce que j’ai accepté volontiers.
La Compagnie du Masque qui a terminé sa vie par un tour de France des colonies de vacances, hors ma présence, m’a vu devenir formateur marionnettes et photographie sur le plan national et même international mais cela est une autre et longue histoire, c’est celle de ma vie et je me dois de remercier Philippe ainsi qu’un autre Normalien plus jeune, marionnettiste lui aussi, je veux parler de mon ami Jacques Devienne de Bailleul, responsable de la Compagnie du Thyrse qui a eu la chance comme moi de travailler avec Monsieur Kalanfei Danaye, directeur de la troupe Nationale du Togo. La compagnie du Masque a donc essaimé en Tunisie, Algérie et au Togo et j’espère qu’un jour le Castelet fabriqué par mon père sera retrouvé dans un grenier et pourra reprendre du service, je pourrai alors chanter de nouveau comme Christophe : « moi je construis des marionnettes, avec de la ficelle et du papier … »
YVES DELETTE

Philippe Cnudde     Yves Delette

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