Paul Groven, promo 57 61, nous adresse ce témoignage très intéressant sur Robert Mériaux


Paul GROVEN, agrégé de l'Université, professeur honoraire de chaire supérieure aux lycées Pierre-Corneille et Jeanne-d'Arc en classes préparatoires d'HEC, d'hypokhâgne, khâgne et Science Po, animateur des "cafés Philo" à Rouen, nous adresse ce témoignage  en hommage à Robert Mériaux :



Quelques souvenirs de Monsieur MERIAUX..


 



La lecture du texte de Mme Francine Malexis-Verdière (1) évoquant les Directeurs de l’E.N.I.  qu’elle a connus, m’a donné l’idée d’évoquer la mémoire de l’un d’entre eux envers qui j’ai une dette qui ne sera malheureusement  jamais épongée : il s’agit de M. MERIAUX, dit assez affectueusement« Pépère ».


  Mon premier contact personnel avec Pépère relève de l’anecdote presque insignifiante. Il m’interpella un matin dans un couloir de l’école  et lorsque je lui fis face, il se mit à boutonner ma blouse grande ouverte puis il me fit remarquer qu’on n’allait pas en cours en pantoufles, le tout sur un ton à la fois amical qui ressemblait pourtant à une mise en garde du genre « Que je ne vous y reprenne pas, mon lascar ! ». Il ne m’y a pas repris car je prenais grand soin de m’éclipser  quand j’apercevais sa silhouette. 


   La sanction a fini par tomber pour une tout autre raison.                                              


Début juillet 1959. En fin d’après-midi de ce jour-là, proclamation des résultats du bac très honorables pour les élèves de première. C’est bien d’être reçu mais que faire pour rentrer sur Lille et Roubaix quand les horaires des derniers trains ne nous laissent pas le temps de faire tous nos bagages avant de vider les lieux ? (n’oublions pas que les vacances viennent de commencer). La décision est vite prise : on part demain. Conséquence : pourquoi ne pas aller au cinéma ce soir pour fêter nos réussites ?                                                                                                                         

Certains de nos camarades dans la même situation s’y refusent sous le fallacieux prétexte que c’est interdit. Avec l’ami Michel B. , à nous deux, nous contournons l’interdit en faisant le mur. Faire le mur était un jeu d’enfants : il suffisait de traverser le gymnase, d’ouvrir la fenêtre donnant sur la rue d’Arras , d’enjamber la fenêtre et à nous la grande évasion ! Pour rentrer, il suffisait de faire le contraire. Sauf qu’au retour, il a fallu s’expliquer avec Pépère qui nous attendait. Après les félicitations pour le bac, il nous a fait part de la sanction : 4 jeudis après-midi de retenue à la rentrée ! Nous espérions qu’en octobre il aurait oublié cette semaine des 4 jeudis. Ben non ! Nous n’avons jamais autant regretté l’absence de cérémonies religieuses le jeudi après-midi que cette année-là ! Et Pépère ? Il se montra en la circonstance maître en oxymore : tombait de lui, non une obscure clarté  mais une autorité très ferme et bienveillante à la fois ou une sorte de connivence à sanctionner.


    Mais ce qui suit montre bien plus sérieusement tout ce dont je suis redevable à Pépère.                                                                                                            


    Un jour, durant l’année de Terminale, il me convoque dans son bureau. J’obtempépère dans la plus grande perplexité. Là, il m’informe qu’il a proposé ma candidature pour une cinquième année à …Nancy. Et il m’explique ce que l’on y fait, quelles sont les conditions, les perspectives, bref un topo complet sur la préparation à l’ENS dont je connaissais à peine le nom. A ma question « Il y a dans ma classe de philo des camarades qui ont aussi le profil et des résultats satisfaisants, alors pourquoi moi ? pourquoi pas eux aussi ? ». Plus de 60 après, je n’ai toujours pas compris sa réponse : « Eux – il cite les noms – ce sont des sprinteurs, vous, un coureur de fond ». Cela mis à part, on aurait pu s’en tenir là, puisque je ne pouvais refuser un tel cadeau ; c’était sans compter sans l’intervention de mon père qui a failli tout faire capoter.


    Mis au courant de mes perspectives d’avenir, mon père s’est rendu illico presto à Douai pour avoir des explications sur des décisions prises sans son accord et même sans qu’on l’ait consulté. C’est là que Pépère m’a sauvé la mise. Avec patience et persuasion, il a tout réexpliqué à mon père : « Non, il n’y aurait pas de frais supplémentaires (nous étions des pauvres parmi les pauvres), non, votre fils ne sera pas à la rue s’il échoue au concours, oui, il restera dans l’enseignement, oui, non, oui, etc. » jusqu’à ce que mon père quitte le bureau ,consentant mais encore méfiant. Ouf !


   Un double merci Monsieur MERIAUX : pour avoir proposé ma candidature et pour avoir convaincu ce père particulièrement inquiet de mon avenir.. Sans vous ma carrière eût sans doute été très différente. Vous avez orienté le cours de ma vie en misant sur des possibilités auxquelles personne ne songeait. Mon seul regret est de n’avoir jamais réussi à vous dire de vive voix toute la reconnaissance que je vous dois.


 


Paul Groven promo 57-61                                                        

Agrégé de philosophie                                                                  

Professeur honoraire de chaire supérieure     


(1) Cliquer sur le lien pour retrouver l'article de Francine Malexis-Verdière concernant Robert Mériaux     

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