Bruno Mattéi, ancien professeur de philosophie à l'école normale et à l'IUFM de Douai n'est plus. Hommage lui est rendu par son ami dans le journal "Libération"

Bruno Mattéi : un juste est mort


Par Jean-François REY , Professeur honoraire de philosophie — 26 novembre 2019 à 18:39Membre fondateur de «Libération», il était homme de «fraternité» qu’il pensa en philosophe, mais surtout qu’il pratiqua avec tous ceux qui vivaient dans les marges de la grande pauvreté, de l’ignorance et du mépris social.


Tribune. Un philosophe peut très bien décider que la vie, sa vie, n’est pas une carrière et que l’excellence n’est pas l’alpha et l’oméga d’une vie «réussie». Pour Bruno Mattéi, qui nous a quittés il y a quelques jours, c’était une conviction profonde. Né en 1943, il était de la fraction de la génération des années 68 proche des grandes écoles. Son diplôme d’études supérieures consacré à Spinoza était tenu pour exemplaire. Il circulait parmi les khâgneux et atterrit sur le bureau de Lacan, qui invita son auteur à s’entretenir de Spinoza avec lui. N’importe qui à sa place aurait fondé là-dessus une réputation, une carrière universitaire et éditoriale. Ce ne fut pas le choix de Bruno Mattéi. Il fut professeur de philosophie dans les Ecoles normales d’instituteurs, puis les IUFM. De Paris, il partit s’installer dans les cités minières du Pas-de-Calais, moins pour s’y «établir» que pour vivre au milieu des corons et être au plus près des gens des mines, à qui il consacra plusieurs ouvrages.
C’est là, dans le contexte de l’affaire tragique de Bruay-en-Artois, qu’il fomenta avec Serge July et quelques autres la création d’un journal «sans patrons ni publicité» : Libération. Bruno Mattéi en fut le correspondant pour le Nord pendant plusieurs années. Mais il restera pour tous ceux qui l’ont connu l’homme de la «fraternité» qu’il pensa en philosophe, mais surtout qu’il pratiqua avec tous ceux qui vivaient dans les marges de la grande pauvreté, de la précarité, objets de l’ignorance et du mépris social. Ses compagnons, il les retrouvait dans l’association ATD-Quart monde ou à l’Université populaire et citoyenne de Roubaix. Membre de Citéphilo à Lille, il était l’un des rares à pouvoir relayer auprès de ses collègues cette fraternité généreuse et cette voix des sans-voix. Lorsqu’il nous arrivait d’évoquer Spinoza, il me confia un jour tout le prix qu’il attachait à la sobre et magnifique proposition : «Ne pas admirer, ne pas mépriser. Mais comprendre.»

Pour Bruno Mattéi, comprendre n’était pas d’abord le fruit d’une «synthèse de l’entendement», mais le résultat d’une enquête et d’un compagnonnage fraternel avec tous ceux que notre société rejette et ne veut pas voir.
Jean-François REY Professeur honoraire de philosophie

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