11 novembre : ces monuments aux morts peu connus dédiés aux instituteurs
LE MONUMENT AUX MORTS DE L'ÉCOLE NORMALE D'INSTITUTEURS D'ARRAS |
Pour ce 11 novembre, on se gardera de commenter les propos injustes de Nicolas Sarkozy sur le temps de travail des professeurs des écoles. Et on préférera se réjouir que des centaines de professeurs des écoles accompagnent encore leurs classes pour les cérémonies devant les monuments aux morts, plus de cent ans après leur construction.
Mais il est un autre aspect du lien entre l'école, les instituteurs et les morts pour la France que cette fidélité mémorielle - et qui l'explique sans doute en partie : ce sont les monuments aux morts consacrés aux instituteurs morts pour la France. Chaque département en comptait un dans l'enceinte de son école normale. Parfois monument, parfois stèle, parfois plaque de marbre, ces monuments ont traversé, depuis un siècle, les métamorphoses des écoles normales, devenues IUFM, puis ESPÉ et enfin INSPÉ, et ont parfois été déplacés quand les vieux et beaux locaux étaient abandonnés, comme par exemple celui de Limoges. Des cérémonies y sont toujours organisées à l'initiative des directeurs d'INSPÉ, en présence d'enfants des écoles. Parfois, ces monuments ont été oubliés, perdus, parfois détruits, puis retrouvés, comme en Dordogne : pourtant, c'était devant lui que posaient les différentes promotions de normaliens.
Les livres d'or, premiers hommages
L'idée de rendre hommage aux instituteurs combattants est née très tôt, dès le début de la guerre, par une circulaire du ministre de l’Instruction publique Albert Sarrault du 12 septembre 1914 qui demande aux recteurs d’académie d’ouvrir le Livre d’or de l’Université. Elle prescrivait que, parmi les 25.000 membres de l’enseignement public qui « combattent pour le salut de la France », on noterait « pieusement les noms de ceux qui accompliront des actions d’éclat ou qui verseront leur sang pour la patrie ». Dans chaque département, le plus souvent conservés dans les archives des écoles normales, ces livres d'or recensent ceux « qui auront mérité, pendant la campagne, une promotion de grade, une distinction militaire, une citation à l’ordre de l’armée » et « la liste de ceux qui seront tombés, morts ou blessés, sur le champ de bataille ».
Un projet de monument aux morts national pour les instituteurs inabouti
En 1916 naît l'idée d'édifier, après la guerre, un monument à la gloire des instituteurs morts pour la France. Un comité d’honneur est constitué, composé de grandes personnalités laïques, radicales ou socialistes, comme Paul Painlevé, Émile Combes ou Ferdinand Buisson, mais aussi de Maurice Barrès. Il aurait dû être installé à l'École normale supérieure de Saint-Cloud, mais il ne verra jamais le jour. Comme l'écrit, Hugues Marquis, historien spécialiste de cette question, « les monuments dédiés aux instituteurs morts pour la France sont donc locaux, édifiés dans les départements, dans l’enceinte des écoles normales ». Certains sont grandioses, comme celui de l'École normale de Parthenay, dans les Deux-Sèvres, ou celui d'Arras (illustration).
Les instituteurs dans la Grande Guerre : un lourd tribut
Les dizaines de noms gravés sur ces monuments départementaux révèlent l'ampleur de la mobilisation des instituteurs : sur environ 35.000 instituteurs mobilisés (ce qui correspond à une moyenne d'un par commune), 28.000 l'ont été dans des formations combattantes, 7.407 sont « tombés au champ d’honneur », 9.624 ont été blessés et 11.976 ont été cités. Pour Hugues Marquis, « si l’on y ajoute les élèves-maîtres, non comptabilisés dans cette statistique, on perçoit que, non seulement le tribut payé à la guerre a été lourd, plus lourd que dans d’autres catégories socio-professionnelles, mais aussi que la participation tant quantitative que qualitative des maîtres à la guerre a été remarquable ». De ces milliers d'instituteurs combattants émergent les figures du premier mort de la guerre, le caporal Jules André Peugeot, tué le 2 août 1914, ou celle de l'auteur de La Guerre des boutons, Louis Pergaud, prix Goncourt 1910, fauché en 1915. Sur ce combattant à la fois comme les autres et différent, et sur l'impact de la guerre sur l'enseignement des instituteurs survivants à leur retour en classe, on lira le texte d'Emmanuel Saint-Fuscien. Nul doute que ce sacrifice massif des instituteurs contribua à renforcer le prestige de sa fonction dans les villages et à les faire entrer dans le panthéon des symboles d'union nationale, après les années de lutte anticléricale. Et on se réjouira que les familles, les associations et l'institution entretiennent pieusement la mémoire de ceux qui étaient devenus, plus qu'en image, des hussards.
Chroniqueur à Boulevard Voltaire, professeur d'Histoire
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