Au temps des expositions de champignons à l'école normale d'instituteurs de Douai

 Expositions de champignons à l’ENG de Douai   



Cet article doit son existence à 2 écrans : celui de mon ordinateur où Jean Marie Devaux nous propose d’envoyer nos souvenirs pour contribuer à la rédaction du bulletin de l’Amicale. Je veux bien participer mais je n’ai pas d’idée quant au sujet ! Deuxième écran celui de la télé où l’agence nationale de sécurité attire l’attention des apprentis mycologues qui utilisent une application gérée par Intelligence Artificielle. On prend une photo avec son téléphone et l’application identifie le champignon mais la démarche n’est pas assez rigoureuse et les intoxications alimentaires se multiplient chez les mycophages.


A ce moment des souvenirs reviennent à propos de mon collègue Paul Gibon, professeur de sciences naturelles et membre éminent  de  la Société mycologique du Nord.

Certes les informations visuelles orientent vers le nom d’un champignon mais Paul croisait les informations : odeur, toucher,et surtout observations  microscopiques comme celles des spores. Les soirs d’automne les déterminations délicates étaient reprises collégialement et convivialement par les amis et collègues de la société mycologique parmi lesquels Régis Courtecuisse, professeur à la faculté de pharmacie de Lille. Il propose un guide des champignons de France chez Delachaux Niestlé. On était encore loin de l’Intelligence Artificielle !!!  


C’est Paul qui mobilisa naturellement pendant plus d’une décennie (années 70) toute l’ENG de Douai pour organiser chaque mois d’octobre une remarquable exposition de champignons. La salle de sciences naturelles était banalisée (nos collègues physiciens nous accueillaient dans leurs salles pour nos cours) les tables de travaux pratiques mises bout à bout et le chauffage était coupé. Le dimanche   précédent était consacré à la récolte des spécimens. Paul Gibon arpentait la forêt de Marchiennes avec ses enfants , il faisait aussi une incursion en forêt de  Bonsecours où il espérait trouver des cortinaires. Les 2 autres profs René Guilmot et moi-même, entraînés dans le mouvement, on sillonnait la forêt de Desvres avec conjoints, enfants et amis, au total 20 à 30 personnes. On remontait toujours le même sentier forestier et le premier qui trouvait des hydnes pied-de-mouton (de couleur crème avec des aiguillons sous le chapeau et excellent comestible) s’attirait les regards envieux des autres participants, il prenait alors l’attitude triomphante d’un chasseur cueilleur des temps préhistoriques.


Le premier qui repérait un petit champignon tout violet déclenchait l’intervention du prof le plus proche ; Laccaria Laccata variété Améthystina. Le champignon est commun et la phrase était toujours prête car elle déclenchait des regards admiratifs pour le « Savant » !!!

Avant d’y perdre ses bottes, on s'arrêtait sur le sentier boueux pour rendre hommage à l’Osmonde Royale, une grande fougère assez rare et protégée. On remontait le chemin jusqu’au bois de pins où on espérait apercevoir  les chapeaux violet-pourpré de la russule sardoine.

   

De retour dans la clairière, au bord de la départementale, on vidait les paniers et on triait les cueillettes, les champignons intéressants et en bon état étaient déposés avec précaution dans les caisses au fond des coffres de voiture des profs.

   

Le lundi matin vers 8 heures tous les cueilleurs, les profs et les normaliens convergeaient vers la salle de sciences pour exposer les trouvailles. Paul Gibon confirmait les déterminations et on installait les spécimens avec leur nom sur une étiquette  sans toujours  suivre une classification rigoureuse : on les rassemblait par formes , par lieux de vie. On prenait soin aussi de présenter la partie souvent inconnue de cet être vivant : les filaments du champignon, c’est à dire le mycélium, le plus souvent dissimulé dans le support. L’armillaire couleur de miel était un bon outil pédagogique  car le plus souvent sur les échantillons récoltés, il montrait les filaments noirs du mycélium et les appareils reproducteurs ou carpophores avec des chapeaux couleur de miel, appréciés des familles polonaises pour confectionner des soupes.
   

A côté des classiques champignons avec chapeau portant  des lamelles ou non, on proposait aussi des formes inattendues : des plaques, des coupes, des boules, des cornes de cerf… L’exposition rassemblait chaque année près de 200 champignons différents. Sans grand discours médiatique, nos visiteurs construisaient leur concept de Biodiversité. Bien sûr, pour les mycophages ou les nostalgiques des chasseurs cueilleurs préhistoriques, on complétait les informations : excellent, comestible, comestible cuit ou sans alcool, toxique, mortel. Tous les ans, on nous apportait quelques échantillons d’amanite phalloïde avec leur pied à volve , leur chapeau olivâtre, leurs lamelles blanches, on installait ces champignons mortels en dehors de la portée de nos visiteurs car on recevait aussi les enfants de l'École Annexe. Les enfants admiraient les amanites tue-mouches (chapeau rouge à écailles blanches) d’autant plus qu’on disposait, près du champignon, l’album de Tintin “l’Etoile Mystérieuse”.



Les normaliens n’étaient pas insensibles à Tintin bien sûr mais marquaient d’autres points d’observation.

Les gourmands salivaient devant les cèpes étiquetés bons comestibles, les sportifs donnaient, en rêve, un coup de pied dans la grosse boule blanche bourrée de spores de la vesse de loup (ou lycoperdon ), les fins limiers ne voyaient pas le chlorosplénium bleu-vert mais déduisaient sa présence sur les branches tombées par la coloration bleu-vert du bois ; les plus cultivés retrouvaient les sculpteurs hellènes avec la victoire de Samothrace dessinée par les circonvolutions d’un polypore coriace, le ganoderme luisant. Tous s’arrêtaient devant le phallus impudicus : sa forme déclenchait rires et quolibets. On ne profitait pas de son autre nom satyre puant car ici l’odeur cadavérique n’était pas perceptible, les échantillons étant enfermés sous la cloche en verre hermétique prêtée par  les physiciens. Dans les sous-bois, cette odeur attire les mouches qui favoriseront la dispersion des spores..


A l'École Normale le mercredi midi toute la gente mycologique avait droit aux sacs poubelles sauf « la victoire de Samothrace » qui résistait d’une année sur l’autre. Mais l’ENG  n’était pas pour autant privée de champignons.  Paul Gibon avait identifié sur les pelouses devant la statue d’Hercule des ronds de sorcières : des Marasmes d’Oréades, des champignons marron-clair disposés en cercle. A partir de la spore initiale, les filaments se développent d’une façon centrifuge et les carpophores apparaissent à la périphérie de la circonférence. Paul envisageait que chaque année les normaliens puissent mesurer avec la chaîne d’arpenteur l’extension du cercle.


Avec l’évolution de la formation, les expositions ont été abandonnées et les sorties préparatoires du dimanche aussi. Récemment, après d’amicales pressions familiales, René Guilmot a relancé la sortie champignons à Desvres par un beau dimanche d’octobre ensoleillé. On y retrouve les anciens toujours aussi motivés et des plus jeunes, des adolescents qui demandent dès le mois de Juillet  : “c’est quand la sortie champignons cette année ?”

Les jeunes apprécient la sortie collective en pleine nature et le petit repas convivial qui suit ; une proposition qui les éloigne pour quelques heures de leur téléphone portable ???





Francine  Malexis

Professeur de sciences naturelles à l’ENG 1965-1984

IA-IPR de sciences de la vie et de la terre en retraite 

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