"NUMÉRO 1" de "REFLETS" LE JOURNAL DES NORMALIENS ( LE PLUS ANCIEN DES ARCHIVES DE MICHEL DEFRETIN (PROMOTION 46-50)

Numéro un
Le 25 novembre 1948
Voici la couverture du tout premier journal normalien connu après la Libération, qui nous vient des archives de Michel Defretin de la promo 46-50 et dont nous allons publier les bonnes pages au fur et à mesure de leur décryptage. Il est entièrement calligraphié (et non typographié) comme on peut le voir dans l'éditorial que nous reproduisons ci-après et qui ne manque pas d'ambition ... 




Voici un périodique tout neuf, tout nouveau : il vient de naître. Il vient après des dizaines d'échecs d'autres journaux de lycée, de faculté et après son « père » le «NORMALIEN » de l'année dernière.
Il est neuf, disions-nous, et cependant, nous le voyons, déjà débordant de vie, bourré d'articles, traversé de polémiques et animé non par 7 gars, mais par nos deux écoles normales.
À côté de lui, nous projetons des auditions de disques, des petites expositions d'art moderne, pourquoi pas ?
Il est vrai que notre enthousiasme n'a que deux semaines derrière lui. C'est à vous tous, normaliennes et normaliens du Nord, de le soutenir.
Le numéro deux doit être vôtre, et il paraîtra à la date que vous aurez voulue.
Bien-sûr, c'est tentant de tricoter un pull ou de jouer au poker mais faites tout de même quelque chose à côté.
L'équipe de REFLETS

Faites parvenir dès maintenant vos articles et suggestions à R. Stiévenard, ENG, quatrième année

Échos de vacances.
21 juillet 1946.
Un rapide file à 120  à l'heure, emmenant 26 normaliens et le directeur vers des régions inconnues de tous, vers Foix et les Pyrénées.
L'idée de ce voyage nous fut suggérée au début  de l'année dernière par Monsieur le directeur.
Mais un problème se posa immédiatement, à savoir comment trouver l'argent nécessaire pour réaliser ce projet.
C'est alors que nous avons décidé de préparer un spectacle susceptible d'être présenté dans diverses salles afin de nous procurer par notre travail les fonds indispensables.
La promotion toute entière apporta son concours. L'argent ainsi gagné n'était certes pas suffisant pour couvrir la totalité des frais de voyage. Monsieur le directeur réussi obtenir des subventions qui va grossir notre caisse.
... Et le 20 juillet à 23:56 et quelques secondes, nous voilà partis.
Arrivés à Paris, nous rencontrons notre camarade Jeff, les cheveux en bataille, les yeux bouffis, un peu vasouillard, qui venait, tel un clochard, de passer la nuit en Gare du Nord.
Et nous reprenons notre voyage vers Foix , voyage très long, ne manquant pas d'intérêt, effectué sous une chaleur accablante est coupé çà et là, par un véritable "rush" vers le château la pompe de la station.
A Souillac , avant même l'arrêt du train, une vingtaine de têtes sont penchées aux portières. Une immense clameur retentit : « Hubert… Hubert… »(1) 
En effet, le dit Hubert, revenant de Bordeaux, nous attend sur le quai et vient rejoindre le gros de la troupe. Le reste du voyage s'effectue sans incidents notables. Et, dans la soirée nous arrivons à Foix.
Dans la gare, nous recevons un accueil chaleureux, (il n'en pouvait être autrement étant donné la température) de M.Ritter, directeur de l'EN de Foix, qui nous conduit à l'école où nous nous empressons de faire nos  « pieux » et de nous y vautrer avec délices.
Le lendemain, nous faisons la connaissance de M. l'économe, du cuisinier et du personnel de service, tous très aimables et  dévoués.
Après avoir visité le château du comte de Foix, nous nous rendons à la grotte de la Bouïche (nous fûmes vite rrrrennn...dus, selon l'expression de notre chauffeur) ; nous voguons sur la rivière  souterraine, admirant le paysage de stalactites  et stalagmites, tout en évitant de heurter le plafond assez bas.
Après avoir fait l'escalade du « Pech » et être redescendus pour la plupart sur le derrière, nous partons vers Bourg-Madame et la frontière espagnole où un douanier franquiste (un SS en retraite, précise Alex) nous convie de façon assez brutale à nous  retirer parce que notre ami Hubert a la malencontreuse idée de vouloir photographier le pays du Caudillo.
Après Bourg-Madame, en empruntant une route en lacets, aux tournants en épingles à cheveux, bordée de ravins qui nous donnaient le frisson, nous nous rendons en Andorre.
Là, véritable pays de cocagne, les normaliens peuvent se payer des « américaines » et des litres de vin à 33 Fr., verre compris !
Aussi le retour s'effectue  dans une atmosphère délirante, au son d'une chorale improvisée (mais de grande classe) dirigée par notre compatriote Serge Mascart, dit « le Grand ».
De temps en temps, la portière arrière de l'autobus s'ouvre discrètement pour livrer passage au trop plein de boisson et de confiture de certains estomacs car, c'est important à signaler, la confiture du Midi possède des facultés enivrantes inconnues parmi nous jusqu'alors et que nous n'avons jamais pu retrouver ailleurs.
Chaque soir, avant de nous coucher, nous devons faire une chasse impitoyable aux petites bestioles qui, avec un sans-gêne déconcertant, couvrent notre lit.
Et nous ne nous endormons jamais sans avoir terminé notre duel de « feintes » auquel participent évidemment Alex, Moumoute , ... et Hubert, la révélation de la saison.

À la venue des normaliennes de Tarbes et conformément à nos traditions, nous ne pouvons pas faire autrement que d'organiser un bal, lequel se déroule au milieu des sourires épanouis du personnel et des autorités – directoriales des trois EN.
Mais, en toute chose, il faut considérer la fin.
Il fallut bientôt songer au retour. Nous n'avons qu'un seul regret : celui de ne pouvoir prolonger plus longtemps notre séjour, rendu d'autant plus agréable par l'enthousiasme de tous, la simplicité de Monsieur et Madame Hickel, et par la chaude camaraderie de Hubert.
Et maintenant tout le monde garde encore et gardera longtemps un très bon souvenir de ces vacances que nous avons pu nous offrir grâce à la bonne volonté et au travail de tous.
Nous avons voulu montrer par là que, lorsqu'ils le veulent, les normaliens d'une promotion unie peuvent atteindre de hautes réalisations.
Pour la promo « Renaissance »
R.LAPLACE, J. LECLERCQ., M.MOUTIEZ

(1) Hubert : fils de M. HICKEL


LA PAGE DE L'ASSISTANT D'ANGLAIS C.LIPTON



















Pensées  d'automne.
« Ô, si nous pouvions nous voir comme les autres nous voient »… dit Robert Burns le poète écossais. Pour votre bien et profit, -j'espère-  voici quelques impressions fugitives d'un bleu, votre assistant d'anglais.
Vision, bruits de choses que jamais je n'oublierai :
Nos élèves en travaux agricoles, balayant les feuilles d'automne et apportant aux occupations rustiques le même infaillible intérêt que la mise au point d'une version anglaise.
Quand, bien vite, le prof Denaw sonne l'alarme à 5:00 (ou plutôt, n'est-ce pas toujours à 5:00 moins une minute ou deux ?) La torpeur d'un languissant après-midi cède place à un dynamisme renouvelé. 
Il semble qu'une décharge électrique vienne de propulser à travers la cour tous ces élèves, langue pendante, vers la petite salle du coin. Là, leurs appétits de fauves vont se rassasier d'un énorme quignon d'un affriolant pain sec, si volumineux qu'il faut la bouche d'un normalien pour se mesurer avec eux.
Désormais se sont éteints les accents mystiques de Loulou qui fut pour nous un cri de ralliement, la marseillaise du stade Demény.
Ces mêmes robustes poumons, ces mêmes voix stridentes qui ébranlent jusqu'aux fondations du terrain de basket, subissent une métamorphose dans la salle de classe et susurrent si doucement, si faiblement et ô, si péniblement, comme la petite voix tranquille dont parle la Bible.
Les athlètes jeunes et fringants, débordant de vigueur et d'énergie,  fument pourtant beaucoup plus qu'il n'est raisonnable pour quiconque se consacre sérieusement au sport. Et la qualité du tabac aussi est un facteur de l'endurcissement des Français : elle mettrait KO n'importe quel docker anglais. Si Dalilah, au lieu de couper les cheveux de Samson, lui avait offert un paquet de gauloises, elle serait aussi bien parvenue à ses fins.
La gamme des sobriquets et petits noms est variée, par exemple Théo  et Lucien, Coco et Ben, l'araignée et Gabelou… (Je serais très heureux de connaître le mien).
Le baptême fut aussi effrayant pour les bleus qu'intéressant pour moi (jusqu'au moment où quelqu'un suggéra… que je devais être baptisé, moi aussi). Ce fut la première fois depuis l'armée que l'on me cira mes souliers (n'est-ce pas Wibaille !)
Quelles intéressantes personnalités nous eûmes à l'école, ce jour-là ! Fées bondissantes, danseurs de ballets, arabes imposants, indiens sauvages et très antipathique bourreaux !
Quelle différence avec tout cela quand le samedi, nous nous retrouvons, paix et tranquillité ; de fourmillants bataillons défilent sous le porche, valises et sacs bondés de linge sale et de pots de confiture vides. Tous clignent des yeux à notre adresse, -nous internes-, et crient effrontément :« bon dimanche » .
« Bon week-end et bon courage ! »
C. Lipton





















LE DIAPORAMA DES 12 PAGES DE CE DOCUMENT QUE NOUS PUBLIERONS AU FUR ET À MESURE DE LEUR DÉCRYPTAGE. À découvrir en musique...

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