Un lieu mythique
Photo colorisée du pavillon des sciences en 1936 |
2009 : abandon programmé du Pavillon des Sciences Naturelles de l’ex-ENG, aménagé, je suppose, à la création des Écoles Normales, puis entretenu, bichonné, enrichi chaque jour de chaque année par de multiples trouvailles diverses et ses professeurs bienveillants (1).
Un antre vieillot, haut de plafond, dont chaque pan accueille une bibliothèque vitrée, exhibant au regard des curieux tout un fatras de bestioles, livres, ossements, moulages et autres microscopes par dizaines.
Un silence religieux plane dans cette enfilade de salles, salles de cours envahies de béchers et appareils d’alchimiste, salles de stockage de matériels pédagogiques.
A tout moment, le regard est attiré par des objets aux formes étranges, aux fonctionnalités inconnues, brillant dans les recoins des placards laissés entrouverts, et, aiguisant presque une fascination quelque peu malsaine pour cette grotte hors du temps.
2009 : drame, catastrophe. Fermeture annoncée, placards fermés, objets laissés à l’abandon comme après une attaque de zombies précautionneux, silence uniquement ponctué de grincements et craquements.
La cafetière est toujours branchée, les dessins d’enfants et autres faire-part de naissance toujours accrochés en bonne place, à peine décolorés par le soleil qui peine à se frayer un chemin dans ce désordre. Le Pavillon des Sciences est à l’abandon, eau et électricité coupées, prenant mollement la poussière, reliques se liquéfiant doucement, les professeurs ne veillant plus sur ces trésors, chassés de leur tanière par une force obscure.
Visite, de ce qui fut pour moi un haut lieu d’apprentissage lorsque j’étais élève-maître, l’ultime visite, la dernière en ce début d’automne sous nos latitudes nordiques, tempête, vent, pluie et ciel gris.
Ouverture de la première porte dans un grincement sinistre, et narines aussitôt envahies par l’odeur si caractéristique de formol et de poussière.
Traversée de la première salle de cours, vide, timidement nimbée par la lueur blafarde d’un lampadaire asthmatique. Sur l’estrade, une collection de papillons à faire pâlir d’envie le moindre entomologiste. Casiers ouverts, vomissant au sol des pelletées de préparations de cours, examens, livres, exercices divers.
Porte, premier laboratoire : armoires de bois toutes en hauteur, panneaux coulissants s’ouvrant à grand peine dans un crissement agressif pour les tympans. Moulages de fossiles de dinosaures, dents de rhinocéros laineux, silex. Une autre armoire dévoile un troupeau impressionnant de microscopes en totale liberté, à socle en fonte, et leurs boîtes idoines. Une étiquette sur une étagère porte la mention « Les champignons », et, pas de surprise, il y a bien des champignons ! Un buffet recèle une collection effrayante d’animaux et végétaux innocents, figés pour l’éternité dans la torpeur du formol. Étoiles de mer, holothuries, épeires par grappes, vous reprendrez bien une louche d’embryons de lapins ?
Porte, seconde salle de cours : dépouillée, blanche, presque propre, presque nette, presque rassurante par rapport au reste des lieux, mais, ô surprise, qu’est-ce donc que cette chose blanchâtre, là-bas au loin ? Un squelette de chat ! Tabernacle.
Porte, couloir désert, troisième salle de cours : débarrassée de tout contenu d’enseignement, ne subsistent que quelques placards, riches en découvertes. Des mandibules de chevaux, des crânes de carnivores non identifiés, de tailles variées, une colonne vertébrale, un pied et deux fémurs folâtrant aux côtés de dents de chat méticuleusement rangées et étiquetées dans de petits bocaux.
Porte, second laboratoire : l’antithèse du premier, plus clair, blanc, aéré, moins fouillis. L’exploration du labo de biologie peut commencer. Tiens, un cœur de truite en plastique démontable. Qu’y a-t-il dans ces bocaux ? Beurk, on dirait un mélange de poumons et de cerveaux ! Soudain, une pause s’impose alors, pour improviser un tango diabolique avec l’écorché en plastique, aux yeux exorbités, qui n’est pas sans rendre un hommage discret au Cavalier de l’Apocalypse de Fragonard. Ah cet écorché ! Il m’avait valu - élève-instituteur en 1976 - une remarque amusée de ma professeur de sciences, madame Malexis : alors que mon voisin de paillasse avait été pris d’un fou rire communicatif qui n’avait pas échappé à notre professeur, celle-ci me dit en souriant : « monsieur Wosik, si j’avais imaginé un seul instant que l’écorché vous faisait tant rire, je l’aurais sorti à chacun de mes cours ! »
Une photo réalisée en février 2023 par Georges Wosik, prise à partir de la rue d'Albergotti montrant l'importance des travaux réalisés sur l'ancien Pavillon de l'ENG |
Porte, dernière salle de cours (en contrebas) : dans mes souvenirs, il y avait autrefois un squelette humain complet dans un coin, mais il s’est volatilisé, envolé, a pris la poudre d’escampette pour aller rejoindre ses copains et faire la fête ! Une maquette de « la butte à Gibon » (2) de plusieurs m² prend dignement la poussière aux côtés d’un cygne naturalisé. La curiosité me pousse à ouvrir les placards, et, surprise : des taenias, vers, parasites, toute une gamme d’horreurs équivalentes trônent sur les étagères vétustes.
Après un dernier tour d’exploration dans un cagibi où s’entassent des cartes pédagogiques par dizaines, il est temps de reprendre cette enfilade de cabinets de curiosités, de fermer les portes et de clore une histoire plus que centenaire. Histoire de curiosité, d’intérêt, de fascination, histoire de collections, de vie, de mort, de cailloux et de microscopes.
Une fois le dernier verrou verrouillé, je me suis senti étrangement nostalgique de cette période où nos professeurs respectifs suscitaient en permanence notre curiosité, l’élément moteur indispensable pour tout apprentissage réussi.
Le Pavillon des Sciences est désormais vidé de toute présence humaine, mais dont l’âme continue de planer, faisant grincer les planchers et couiner les fenêtres.
En cette année 2023, des travaux de grande envergure sont entrepris par le département. Quelle sera la nouvelle destination de ces bâtiments qui ont abrité tant de curiosités et suscité tant d’interrogations par le passé ?
(1) Madame Francine Malexis, messieurs Gérard Allart, Raphaël Crépin, Paul Gibon, René Guilmot, Daniel Plumé, Victor Tryoën, les professeurs de SVT que j’ai connus
(2) Dans les année 1980, monsieur Gibon avait aménagé un immense jardin sauvage à la Porte d’ Arras devenue « butte à Gibon »
Georges Wosik
Ancien Responsable Pédagogique du Site IUFM de Douai (2011-2012)
"Merci Georges, quel émouvant témoignage ..."
Merci Georges, quel émouvant témoignage ...
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