Quand Paul Dumont, dit Popaul, partit en retraite en juin 1981, après avoir débuté à l'ENG en 1946 avec son ami Jean Joly, une cérémonie fut organisée et l'on en retiendra son discours ému, teinté d'humour et de nostalgie.

 

Yvonne et Paul Dumont


CÉRÉMONIE de DÉPARTS en RETRAITE à L'ECOLE NORMALE

(extrait du Bulletin 73 de Novembre 1981, pages 19, 20, 21)

Une réunion amicale a été organisée le 26 juin 1981 à 17 H à l'occasion du départ en retraite de M. DUMONT, professeur de lettres, de M. PRUNIER, intendant et de M.TABARY, directeur de l'école annexe.

Monsieur SORRE, Inspecteur d'Académie, Directeur des Services Départementaux de l'Education du Nord présidait cette réunion.

De nombreux directeurs d'école actifs et retraités, professeurs, les membres du personnel d'intendance, Inspecteurs Départementaux de l'Education Nationale, maîtres d'école annexe et d'application, des représentants de l'Amicale des anciens et anciennes élèves se sont réunis dans le réfectoire de l'école témoignant ainsi leur sympathie aux retraités.


Monsieur BEAUCARNE, directeur de l'Ecole Normale ouvre la séance : «il me revient ? Mesdames, Messieurs ? comme à l'accoutumé, d'ouvrir cette amicale réunion pour en marquer le caractère de simplicité et aussi le caractère exemplaire, comme si le destin avait voulu marquer d'une signification particulière le triple départ en retraite que nous célébrons aujourd'hui.

La simplicité d'abord, il fallait bien s'y tenir puisqu'elle est dans nos habitudes.

Cependant, il faut remarquer qu'ils ne sont pas ici comme la circonstance fortuite d'un rite administrativement funéraire, le prétexte d'un discours qui parlerait d'autre chose, mais bel et bien comme le centre de gravité de cette affaire....

De là que la signification particulière de ce triple départ, trinité qui réunit la rigueur comptable, l'ardeur technique, l'amour des belles lettres…

C'est à Monsieur Sorre, Inspecteur d'Académie, qu'il revient de rappeler la brillante carrière de chacun d'eux .



Monsieur DUMONT remercie au nom de ses Collègues, Monsieur l'Inspecteur d'Académie, Monsieur le Directeur de leurs paroles flatteuses, les camarades d'être venus leur témoigner leur affection en ce jour qui pour tous trois devrait être un jour de fête.

Mais les choses ne sont pas aussi simples, dit M. DUMONT, D'abord nul n'a quitté cette maison sans chagrin. Ensuite, entre elle et moi, il y a une histoire d'amour. Nous avons eu le coup de foudre quand nous nous sommes rencontrés en 1946, et depuis ça été «ni elle sans moi, ni moi sans elle».

Beaucoup d'entre nous ont connu l'École Normale rouge (comme on disait) la première École Normale de France.

Cette école était la Libération vivante, une flamme péguyste et cornélienne. De l'Amour, de la liberté totale, du dialogue, elle avait le principe et la fin de sa pédagogie. Elle voulait que «rien d'humain ne nous fût étranger».

Ici on s'appelait par tous ses noms, on se disait tout, on était tous normaliens, pêle-mêle, élèves, employés, instituteurs, professeurs, intendance et direction.

Ici c'était tout le temps la fête, il y avait toujours des foules joyeuses dans les couloirs. et on chantait, on jouait de la trompette et de l'accordéon. On posait sagement pour la photo de famille et on se ruait sauvagement en cuisine. On n'arrêtait pas de s'engueuler, et on avait souvent envie de s'embrasser. On était les lendemains qui chantent.


L'enseignement vivait de ce tohu bohu qui était la structure de surface d'une ténébreuse et profonde unité. Nous n'avions guère besoin de concertations officielles : mon meilleur ami était (est encore) le premier en date de nos professeurs d'éducation physique et j'ai épousé le professeur de dessin ! La musique avait de généreuses empoignades avec les Mathématiques. Les sciences naturelles m'initiaient au père Teilhard de Chardin et j'introduisais le professeur de sciences naturelles dans le jardin des racines grecques, l'E.N. et les écoles d'application échangeaient leurs idées et leurs maîtres. On avait horreur du vide.

On avait inventé l'audio-visuel, il y avait la radio à bord de toutes les classes, on montait deux grands spectacles par an, on passait des films fixes et des films «bougeants», on avait déjà un magnétophone, mais il était à fil et quand le fil cassait, il envahissait la moitié de notre espace vital.

On faisait de tout, de la linguistique historique, du latin, de l'ancien français et du provençal. On écrivait des vers, on réalisait des manuscrits enluminés. On devenait amateurs d'art, peintres, sculpteurs, mosaïstes, décorateurs. On avait un orchestre symphonique, un jazz band et une formation Rock, les Régents qui est toujours universellement connue.

On allait en chœur au stade Demény assister au triomphe immanquable de nos couleurs. On était champion du 5 000 aussi bien que du cent mètres.

On faisait des Maths modernes en 1950, dites donc !

On ne faisait pas de fausse monnaie parce qu'on ne voulait pas en faire. Mais ce qu'on faisait fort bien c'était indifféremment des instituteurs, des inspecteurs primaires, des agrégés et des professeurs de faculté.

Nous étions l'Universitas: il nous venait des étudiants d'Angleterre et des 2 Allemagnes, de Scandinavie, du Congo et du Gabon. Une fois que j'expliquais l'invitation au voyage, Philis la jolie Américaine me dit «je n'ai rien compris à votre cours, mais c'était merveilleux».

Puis M. DUMONT passe en revue d'une façon très humoristique les différents Directeurs de cette E.N. qu'il aime tant et conclut : «Et ce que j'ai retenu de ces grands hommes c'est, avant tout, qu'ils étaient présents, qu'ils nous aimaient, que nous pouvions compter sur eux.

M. TABARY et M. PRUNIER sont arrivés trop tard, ils ont connu trop peu cet univers délirant. Mais cela a suffi à les envoûter et ils sont entrés dans notre jeu.

C'est ainsi que M. PRUNIER a participé activement à la représentation du «Voyage de M. Perrichon» en 1966. Nous avons obtenu de sa tendresse bougonne tout le matériel nécessaire et le superflu. Et tenez-vous bien ! C'est même lui qui a réglé personnellement les éclairages de la salle. Et il faut le faire quand on est de Manosque.

C'est ainsi que l'âme de l'école a donné des ailes à M. TABARY. Et c'est pourquoi il ressemble si étrangement à Hermès. Que de messages il a transmis. Combien de problèmes insolubles il a résolus ! il se voulait exemplaire : il nous racontait ses débuts épiques dans une classe unique (notez la rime) sous l'œil impitoyable de «D'baisieux» il nous disait «Comment qui fzot».


Et son expérience était sûre, sa volonté de convaincre émouvante.

Depuis 1976, le Directeur est un ancien qui vient de donner un courageux témoignage de son idéal laïque et qui ne demande qu'à jouer sa partie dans notre concert. Retrouvez tous ensemble la consonance et le goût des grandes entreprises. Un signe du ciel m'avertit que tout ira bien désormais : un de nos pionniers UMBERTO BATTIST «le seul, l'unique» comme il dit, sorti de chez nous en 1958 vient d'être élu député de la gauche dans une circonscription où, bien entendu, il était le seul et unique candidat.

Encore une fois merci, au nom de nous trois.


Mesdames GIBON et MALEXIS ont félicité les nouveaux retraités et remis les cadeaux, gage de l'amitié.



Commentaires postés sur la publication Facebook de cet article


Jacques Hornez
Je ne l'ai jamais eu comme professeur mais les copains disaient que sur certaines copies copies il notait FCM ( fin de correction marginale) en d'autres termes ça voulait dire moyen en revanche je me souviens de la beauté grecque qui me donnait toujours la même note même quand je recyclais un dessin d'une autre classe ceci dit c'était des profs laïques et d'une culture immense ils ont marqué des générations

Jean-Louis Delaby
J'ai toujours eu un souvenir ému pour Monsieur Dumont...il m'a apporté beaucoup, en particulier un amour de la Grèce...son épouse était "la beauté grecque"...quel couple, quel engagement pour les normaliens...et quelle époque...

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