Nous avons consacré récemment un article à José Herbert, écrivain prolifique et toujours actif à 79 ans. (cliquer sur le lien pour l'article sur José)
Il évoque ici quelques souvenirs concernant ses anciens professeurs d'EN.
"Souvenirs du bon temps où j’usais mes fonds de culotte sur les bancs de l'École Normale de Douai. Promotion 1960-64."
Nous étions jeunes et beaux. Je suis maintenant vieux et… Stop José, tu n’as pas le droit de dire ça. Tu as vécu des années exceptionnelles. Des années qui ont forgé ton corps et ton mental, qui sont à la source de ce que tu es maintenant. Chaque semaine tu as bossé comme un fou, jusqu’au devoir surveillé du samedi après-midi. Tu étais interne. Tu as appris à vivre en communauté. Tu as engrangé des souvenirs et surtout des connaissances qui ressurgissent par moments et qui te sont bien utiles dans ta vie d’aujourd’hui.
D’accord ! C’est vrai ! Mais par quoi commencer si je veux me souvenir ? Les profs ? Oui ! Des gens compétents, en général, que l’on ne peut oublier, qui, comme tout le monde, avaient leurs tics. Des profs un peu chahutés, d’autres encensés.
Tel le prof de français, que nous surnommions Popaul, dont l’épouse, toujours en blouse blanche, nous enseignait l’Histoire de l’Art dans un immense amphithéâtre. Cours qui nous ennuyait car rébarbatif que nous pensions sans intérêt pour la suite de notre carrière. Je regrette maintenant de ne pas avoir assez écouté cette prof au savoir immense. En classe Popaul négligeait son bureau perché sur l’estrade, s’installait à un pupitre d’élève, près du mien, face aux étudiants, et débitait avec un léger sourire un cours que nous devions transcrire, me soufflant en même temps une haleine fétide et sucrée, il mâchouillait quelque chose en permanence, que je pense encore sentir en écrivant ces lignes.
Tel le prof de gym dont j’ai oublié le nom. Je n’ai guère la mémoire des noms. Il est devenu député par la suite, fervent militant du parti communiste à une époque où celui-ci était puissant. Son cours se transformait parfois en tribune politique qui durait toute l’heure et durant laquelle, debout devant son auditoire, il nous assénait ses vérités. Ou alors il nous donnait un ballon de volley dans la salle des sports et disparaissait, sans doute occupé par les exigences de sa vocation au service du peuple.
Tel le prof d’anglais, dont je revois parfaitement la carrure, le visage sans sourire et le cartable en cuir qu’il posait sur son bureau, toujours au même endroit. Son intervention débutait toujours par une interrogation orale. Il choisissait sa victime parmi la liste des élèves qu’il avait sous les yeux, puis lui posait une question, une seule, the question. J’ai la souvenance de l’une d’entre elles, que j’ai depuis racontée maintes fois en société, tant elle est révélatrice d’un certain état d’esprit. La voici :
—What’s an elephant ? disait le prof.
Question intéressante, n’est-ce-pas, qui n’était qu’une conséquence du cours précédent. Il fallait répondre :
—An elephant is a big animal.
Puis la note jaillissait, qu’il notait sur son document :
—Eighteen !
En ce temps-là, comme actuellement d’ailleurs, il ne fallait pas compter sur l’école pour se familiariser avec une langue étrangère.
Tel un autre professeur de sports, Joly, qui était aussi, je crois, surveillant général. Meneur d’homme, il en avait la carrure, l’autorité, le pragmatisme. Il nous emmenait courir un « canal », c’est-à-dire des kilomètres le long de cette voie d’eau pas très éloignée du bahut. Supplice pour beaucoup d’entre nous. L’homme courait en notre compagnie et nous exhortait avec ses encouragements hurlés. Et quand ce n’était pas le canal, c’étaient d’interminables tours du stade attenant à l’EN. A l’époque, l’instituteur se devait de posséder un bon niveau sportif. L’EN n’était pas accessible aux personnes réfractaires à cette discipline essentiellement corporelle. Est-ce lui qui nous emmenait à la piscine de Douai ? Je ne sais plus. Autre supplice qui consistait à sauter au plus profond du bassin, ensuite, si l’on désirait survivre, à agripper avec l’énergie du désespoir la perche tendue qui nous ramenait sur la berge, tout en vomissant l’eau chlorée avalée. Bien sûr, et j’ajoute encore « comme actuellement », n’oublions pas que je veux être « impertinent », ce n’est pas à l’école que l’on apprend à nager.
Tel le prof de maths en terminale, blouse blanche impeccable, sourire sévère aux lèvres, dont j’ai aussi oublié le nom, qui me réclama un jour des droits d’auteur. C’était une boutade. Je copiais ses cours avec un calque bleu, pour en fournir un exemplaire à mon beau-frère qui voulait passer le bac, donc les étudier, et qui ne les a jamais utilisés. J’étais naïf. Excellent professeur qui sut conforter mon goût intense pour les mathématiques, ses mystères, sa magie, ses tableaux, ses règles, son vocabulaire, sa géométrie dans l’espace, ses probabilités, etc.
Je n’ai pas conservé la souvenance de grands chahuts dans les classes. Étions-nous dociles, calmes, attentifs, travailleurs ? Je le pense. On se moquait des profs, évidemment, mais sous le manteau. On bossait comme des dingues. D’autres que moi possèdent sûrement dans les profondeurs de leur cortex de quoi nuancer mes propos. Un mot de leur part suffirait à dénicher certaines séquences que j’ai oubliées, j’en ai conscience.
Les souvenirs d’un homme constituent sa propre bibliothèque, disait Aldous Huxley.
José HERBERT
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