samedi 27 décembre 2025

Qui se souvient des "cours complémentaires", ancêtres des CEG puis CES ? Stéphane Tréla (promo 56 60) nous raconte sa scolarité en "cours complémentaire" à Orchies . Beaucoup d'anciens normaliens s'y retrouveront sans peine

A propos des anciens Cours complémentaires. Celui d'Orchies par exemple.

Le 1er octobre 1951 à 11 ans, j'entre en classe de sixième au Cours complémentaire, non mixte, d'Orchies. Dans ce village très rural de Coutiches où j'habitais, il était rare de quitter l'école primaire si tôt avant ses 14 ans. D'autant plus rare que mes parents étaient de très modestes ouvriers. Les fils d'agriculteurs prévoyaient, eux, de reprendre la ferme des parents ou d'épouser une fermière héritière. Pour la majorité des élèves de CM2, restaient trois années de rabâchages pour obtenir le Certificat d'études primaires qui avait une valeur reconnue. On partait rarement en collège ou en technique, la règle était, Certificat d'études obtenu ou non, d'entrer immédiatement dans le monde du travail, ou en apprentissage, dès ses 14 ans. La Chicorée Leroux, la Faïencerie, la Belle Jardinière, de nombreuses petites entreprises embauchaient ces jeunes adolescents qui se formaient sur le tas. Des parents s'opposaient au départ en 6e de leur garçon. Je ne parle même pas des filles. Un camarade, fils de fermier, préparé avec moi pour Orchies, resta en primaire. Soixante-quinze ans plus tard, il en garde toujours une rancune à l'égard de sa mère. Je dois cependant révéler qu'un certain directeur de primaire n'envoya pas en 6e un brillant élève, dans le but d'obtenir le 1er prix cantonal au Certificat. Ce qui arriva. L'honneur en rejaillit sur ce bon instituteur !


Cette entrée en 6e annonçait pour moi une longue poursuite d'études.

Les épreuves du concours d'entrée en 6e se déroulaient à Saint-Amand-les-Eaux. Nous étions deux Coutichois. Notre directeur nous y conduisit dans sa voiture, une Ford d'avant-guerre, aux angles droits, de forme très peu aérodynamique. Ça n'allait pas vite, ça cahotait sur la Route nationale pavée. Nous arrivâmes de justesse à l'heure.

À Orchies, le Cours complémentaire de garçons partageait les locaux avec l'école primaire sous la direction unique de M. Dherbomez. Les récréations étaient communes. On recevait livres et cahiers gratuitement comme à l'école primaire. Des élèves originaires de tout le canton, des professeurs spécialisés selon la discipline, la tenue d'un cahier de textes, la vacance du samedi après-midi, représentaient une grande nouveauté.


La centaine d'élèves du Cours complémentaire se répartissait en cinq classes dont deux 5es, la 5e A, normale et la 5ºB, de transition, qui accueillait des 6es un peu limites pour la 5e A, mais surtout des élèves plus âgés, titulaires du Certificat d'études primaires qui s'orientaient avec retard vers le BEPC. Il leur manquait une année d'anglais et le nouveau mode de travail scolaire. Il y eut également une 3e spéciale qui préparait, après le BEPC à divers concours dont celui de l'Ecole normale, des PTT, des Ponts & Chaussées. Dans des locaux à part en ville, une préparation au secrétariat, sténo dactylographie, durait deux ans. Le but des Cours complémentaires était de former surtout des cols blancs.

Le BEPC donnait accès à des emplois de cadres moyens. On se spécialisait sur le tas. Le directeur d'une banque connue n'était titulaire que du seul BEPC.


A l'origine, les élèves n'avaient pas la possibilité de poursuivre des études en seconde, de subir les épreuves du Baccalauréat: ni latin (ce qui me handicapa pour mes études d'histoire mais je finis par acquérir en étudiant seul le minimum de notions indispensable) ni grec, une seule langue vivante.

D'ailleurs pendant longtemps, dans les Écoles normales, rattachées au primaire, sous le contrôle des inspecteurs primaires, on ne préparait pas le Baccalauréat mais le Brevet supérieur. Ce n'est que par la suite que furent créés les Baccalauréats M et M' qui tenaient compte des spécificités de

l'enseignement des Cours complémentaires.


Venons-en aux différents aspects de cet enseignement.

D'abord, les conditions matérielles. Pas de ramassage scolaire en autocar comme de nos jours sinon de rares autobus des lignes régulières aux horaires non adaptés. Je partais le matin à bicyclette pour sept kilomètres par tous les temps. Une épreuve en arrivant pour le petit bonhomme que j'étais : dresser

mon vélo sur la roue arrière pour le suspendre par la roue avant à un haut crochet sous le préau. Des grands m'aidaient. Pas de cantine. Les élèves se répartissaient dans les cafés proches pour y manger leurs tartines (on ne parlait pas de sandwichs !) arrosées d'un demi de petite bière. Ce que faisait encore

ma sœur en 1960. Parfois, on déposait le matin une gamelle que la cabaretière réchauffait pour midi. Juste avant la construction en 1965-66 du CES Pailleron, le traiteur Gras ouvrit une cantine privée en ville à 2 F 50 le repas. Pour éviter aux élèves de traîner dans les rues, une étude du midi, payante, nous accueillait de 12h30 à 13h15, surveillée par des professeurs. Ils mangeaient dans une classe. Il n'y avait pas de salle des profs.


Les enseignants des Cours complémentaires sortaient des Écoles normales d'instituteurs, titulaires d'un Baccalauréat et du CAP primaire, les plus anciens du Brevet supérieur. À ma sortie de l'École normale de Douai, je fus nommé en lettres à Orchies où j'étais encore élève quatre ans auparavant. Aucun ne possédait une licence d'enseignement. Ils s'étaient spécialisés eux-mêmes, professaient au moins deux disciplines, à la fois français histoire-géographie, maths physique chimie ou sciences naturelles. Dessin, musique, éducation physique complétaient leurs 27 heures hebdomadaires. Je me souviens d'une prof de maths, redoutée des élèves, munie de son seul Brevet supérieur qui enseigna à Orchies l'algèbre et la géométrie, avec brio et compétence. Elle résolut même je ne sais plus quel ardu problème mathématique sur lequel séchait son fils, en prépa d'une grande école. Et les Cours complémentaires de devenir des CEG. La récente École normale de Lille recruta des instituteurs de Cours complémentaires afin de les préparer en deux ans, dont une première année en faculté, à l'examen de PEGC. Ce qui donna à certains, dont moi, l'idée de continuer pour une licence, une maîtrise et un CAPES. Ce n'est qu'à la transformation des CEG en CES qu'y apparurent des professeurs certifiés, rarement des agrégés, censés relever le niveau.


Le niveau de l'enseignement valait celui des lycées, lesquels considéraient les enseignants des Cours complémentaires comme de simples instituteurs d'établissements inférieurs à leur lycée. Le niveau des élèves, mieux suivis, était bon. Cependant, le secondaire jugeait les élèves des Cours complémentaires trop scolaires, appliquant des recettes, manquant d'aisance intellectuelle. Bref, les jugeait frustres et rustres. Je me souviens encore de la condescendance du professeur de français qui daigna m'interroger à Fénelon à Lille lors de mon oral obligatoire du BEPC. A sa surprise, l'élève du C. C. rural avait des connaissances sur L'albatros de Baudelaire, le poème et l'auteur. Il est vrai que l'origine sociale, souvent rurale, d'élèves qui ne partaient pas en vacances, participaient aux travaux des champs pendant les congés, n'allaient jamais au restaurant, au théâtre et rarement au cinéma, restaient dans leur trou, dont les parents accaparés par les tâches domestiques avaient des difficultés à suivre le travail scolaire de leur enfant, représentait un handicap.

Ces élèves ne maîtrisaient pas les codes de culture générale et de bonnes manières de la société bourgeoise et par rapport au recrutement plus ou moins élitiste des lycées. Les études permirent de nous adapter intelligemment sans nous renier. Ayant adopté les codes de la bienséance et de la bien pensance, devenus des transfuges de classe, comme on me le dit un jour ?


Pédagogiquement, certes, beaucoup de rabâchages, de par cœur, une accumulation de dictées-questions, d'exercices de maths, de croquis de cartes de géographie, de mémorisations de toutes les guerres de Louis XIV et de Napoléon: dates, traités, territoires perdus ou annexés, sans oublier celles du XXe siècle. Les cours de musique, de dessin, d'éducation physique étaient quelque peu négligés. En éducation physique, les garçons jouaient surtout au football. A l'approche des examens, des dictées-questions ou des exercices de maths remplaçaient bien souvent les cours de musique ou de dessin. Bref, on nous faisait travailler !


Et les concours et examens s'enchaînaient : 1) concours d'entrée en 6e ; 2) examen du Certificat d'études primaires complémentaires* en 5e (l'échec interdisait le passage en 4º) ; 3) en 4e avec les élèves des écoles du canton, Certificat d'études primaires* (*deux examens inconnus en lycée) par précaution, en cas d'échec au BEPC l'année suivante; 4) BEPC en 3e, ses épreuves écrites et orales obligatoires à Lille ; 5,6,7...) Concours et examens divers par la suite dont un 1er et un 2e Baccalauréat. Mais force est de constater que ces méthodes tant décriées actuellement se révélaient efficaces.


Ce n'était pas le bon vieux temps. Des changements s'imposaient. Au fil des réformes, les Cours complémentaires devinrent des CEG puis des CES mixtes. Et l'on se mit à construire nombre de CES métalliques, les Pailleron. Depuis, en primaire, les cours s'arrêtent au CM2. Tous les élèves sont admis en

6°, arrivent en 3e sans aucun concours ni examen, se retrouvent à subir les épreuves d'un Baccalauréat dans la foulée, et réussir à 90 % grâce aux notes d'un contrôle continu plus ou moins laxiste ! Sans jamais doubler une classe, sauf de rarissimes cas particuliers. Quant au niveau... Des copies d'ÉNArques sont bourrées de fautes d'orthographe.


Je me dois de rappeler l'importance des Cours complémentaire qui permettaient une ascension sociale. Pour moi, il n'aurait pas été question de partir en 6e pensionnaire dans un lycée de Douai. C'était le Cours

complémentaire d'Orchies ou préparer le Certificat d'études en primaire et rester un ouvrier comme mon père. Ces établissements étaient la première étape d'une promotion professionnelle, donc sociale. Les Baccalauréats M et M' permirent d'accéder aux études dont des études universitaires. Des instituteurs, des professeurs, des enseignants en université, des ingénieurs, des médecins, des techniciens, des chefs de gare, de centre de PTT, sont passés par le Cours complémentaire d'Orchies. Il en est de même pour les autres Cours complémentaires.

Le Cours complémentaire d'Orchies et l'école primaire de garçons avant 1914. Carte postale.

Ils existaient déjà dès la fin du XIXe siècle. A Orchies, avant la guerre de 1914-1918, un tel enseignement se donnait dans les locaux de l'école primaire Jules Ferry. Un pensionnat accueillait les élèves des villages éloignés. Même pour les filles. La grande écrivaine Colette (1873-1954) fut une élève du Cours

complémentaire, avec pensionnat, de Saint-Sauveur en Puisaye. Elle raconte avec verve dans Claudine à l'école, la construction des bâtiments et sa vie d'élève préparant le Brevet à la fin des années 1880.


En conclusion, un peu de nostalgie, comme celle qui gagne les gens qui prennent de l'âge, en idéalisant un passé recomposé ? Cependant, non sans inquiétude, de réforme en réforme des structures, de réforme en réforme des programmes et de leurs allègements, il faut constater que le classement de nos élèves dans le Programme International du Suivi des Acquis (PISA) se révèl plus désastreux d'année en année. - Les jeunes Français étaient à la peine; ils sont désormais à la ramasse ! (M. Messina. Octobre 2025.)


Je m'enorgueillis d'être issu de l'enseignement de ces Cours complémentaires. J'y ai appris des méthodes rigoureuses de travail. Je n'oublie pas ce que je leur dois. 


Stéphane Tréla. Novembre 2025.








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