Elle se souvient de sa rentrée en 1942, un article paru dans la Nouvelle république

 

L’Ausweis, le laissez-passer de Claude B., jeune étudiante lochoise en 1942 qui franchissait régulièrement la ligne de démarcation à Reignac pour sa formation d’institutrice à Tours. © Photo NR 



Ce n’est jamais sans un petit pincement au cœur que Claude B.*, en allant à Tours, passe devant le lieu-dit Café-Brûlé, à Reignac. La nonagénaire (94 ans) n’y a pas vécu de drame, mais pendant des mois, c’est le ventre serré qu’elle y franchissait la ligne de démarcation.


Âgée alors de 16 ans, à la fin de sa troisième au cours complémentaire de Loches, ville où elle résidait, elle avait été reçue au brevet et au concours d’entrée à l’école normale d’institutrices, ainsi que son amie Ginette V., aujourd’hui décédée, qui exercera jusqu’à sa retraite à Saint-Quentin.

Elle attendait avec impatience cette rentrée d’octobre 1942. Mais la guerre avait changé beaucoup de choses. Tours était en zone occupée. Il fallait donc un laissez-passer pour rejoindre son nouvel établissement. Ses parents avaient bien fait la demande à la Kommandantur, installée dans le palais de justice de Tours dès le 25 septembre. Mais aucune réponse n’était arrivée à la rentrée d’octobre.

Aussi elle dut commencer ses cours de seconde au lycée de Loches, durant tout le premier semestre. Enfin, presqu’un cadeau de Noël, le précieux document est arrivé, orné d’une superbe faute d’orthographe « insistutrice » !

Contrôle Chaque dimanche soir, c’était le voyage dans le car Coudert et une arrivée sans problème : aucun contrôle ou presque n’était fait dans ce sens. Mais arrêt obligatoire lors du passage de la ligne de démarcation à Café Brûlé dans le sens Tours-Loches.

« Tout le monde devait descendre, s’aligner sur le côté de la route, ôter sa veste et donner son laissez-passer aux autorités allemandes. Souvent plusieurs personnes étaient fouillées, choisies au hasard sans doute, je n’ai jamais eu d’explication », précise Claude B. Des femmes soldats allemandes opéraient, calmes, sans aucun sourire : d’abord les poches, puis palpation le long du corps. Puis, à l’appel de son nom, le plus souvent écorché, parfois incompréhensible, chacun retrouvait son précieux document avant de remonter dans le car.

L’école normale d’instituteurs était installée depuis 1863 à Loches, dans les locaux du collège fondé en 1575 par Antoine Isoré, prieur du chapitre de la collégiale et par les religieux de Beaulieu. Elle fut supprimée en 1941 par le gouvernement de Vichy, l’enseignement était alors dispensé à Tours.

L’école pour les institutrices à Tours, avait été transformée dès le début de la guerre en hôpital puis occupée par l’armée allemande. Les futures « maîtresses d’école » suivaient donc les cours au lycée Balzac, qu’elles quittaient pour rejoindre leur internat dans l’école supérieure, rue des Ursulines. Si elles voulaient sortir, les heures de départ et de rentrée étaient soigneusement notées. 

Chaque semaine, ou presque, Claude B. faisait donc ce voyage. Mais un dimanche soir, elle eut la désagréable surprise de découvrir qu’il n’y avait plus une place de libre dans le car. Pas question de manquer les cours. Le lundi matin, accompagnée pour plus de sécurité par son oncle, elle accomplit à bicyclette le trajet Loches-Tours…

* Claude B. n’a pas souhaité divulguer son nom de famille. Elle a enseigné de nombreuses années dans le Lochois.


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