La vie vaut-elle d'être vécue, par Paul Majowski, à propos d'un professeur de philosophie remarquable, Monsieur Serri

Monsieur Serri 


Je réponds à l'appel aux témoignages concernant nos professeurs à l'EN de Douai afin que leur mémoire ne se perde pas dans l'oubli ou l'indifférence. 
Il m'est difficile de dire lequel m'a impressionné le plus, mais M. SERRI est de ceux-là. Discret, attentif aux idées des uns et des autres, tolérant à une époque où les idéologies militaient pour s'imposer, il représente pour moi l'oeuvre d''un intellectuel qui réussit à approfondir les sens de l'humain sans perdre de vue qu'il s'adressait à de futurs enseignants. 

Le corrigé de la dissertation "LA VIE VAUT-ELLE D'ÊTRE VÉCUE"  prend un relief très fort en écho aux événements tragiques auxquels nous sommes confrontés. La pensée de M. SERRI nous fait accéder aux valeurs universelles de l'école républicaine.






LA VIE VAUT ELLE D'ÊTRE VÉCUE ?


Corrigé de M. SERRI pour la classe de Philo (année 1960-61)
Notes et saisie au clavier : Paul Majowski

Introduction.

On peut constater que dans le monde tous les êtres recherchent le bien-être, le bonheur, de même que, sur le plan de la matière, les astres obéissent à la loi de gravitation universelle. Quand le bien-être disparaît, l'être n'est plus suffisant. Le bonheur va se présenter autrement aux hommes qu'aux animaux, car réfléchis et doués d'esprit critique. La réflexion entraîne des conséquences graves, elle permet la connaissance du possible et la perception de l'avenir.
Qu'est-ce que le bonheur ? Il se présente autant de bonheurs que d'individus, d'où risque d'égarement.

A) Axes théoriques du bonheur.


On remarque trois attitudes devant la vie :
a. Les fatigués
b. Les bons vivants
c. Les ardents

a. L'existence est une erreur pour un raté. Il s'agit de quitter le temps le plus rapidement possible.
(l'hindouisme. Schopenhauer) Il n'y a pas d'avenir, seulement un passé de catastrophes. Seul le néant est une fin. Attrait du suicide. Les fatigués diminuent la surface d'exposition. Ils ne croient à rien pour ne pas être déçus.

b. Les jouisseurs du moment présent pratiquent un hédonisme païen (tels Gide, Montherlant). Ils jouissent à chaque instant de chaque chose. La guerre est un mauvais moment à passer. Le danger est de devenir blasé, d'où nécessité de régler les plaisirs qui peuvent être subtils, intellectuels ou sensuels. Ils étalent la surface d'exposition. (Renoir)

c. Les ardents s'élancent vers l'avenir. Vivre est une ascension et une découverte. Il vaut mieux être car l'être est inépuisable. Le bonheur de croissance n'existe pas par lui-même. Ce n'est pas un objet que l'on poursuit, mais un « sous-produit » de l'effort.

La vie se divise en trois branches, comment choisir sans que ce soit purement subjectif ? Les faits peuvent-ils résoudre un problème de valeur ?

B) La réponse des faits.

1) Solution générale.

On pense que l'univers se meut depuis les origines de deux courants.
a. La matière se désagrège.
b. Elle aboutit à l'édification de types organiques dont les plus riches forment le monde vivant. Les savants pensent que la vie ne se manifeste pas au hasard. Cette multiplicité d'espèces correspond à une dérive. La vie semble orientée. Hasard ou non , le transformisme est évolution. Il est une façon irréversible de progresser vers des états d'organisation de plus en plus complexes et des états de conscience de plus en plus élevés.

Quelle attitude à prendre en face de la vie ?
Nous sommes  dans un mouvement qui nous prend dans son orientation. Il n'a pas commencé avec l'homme. Il y a toujours eu une masse d'êtres accédant à plus de liberté (plante,animal,homme) Notre sens de la douleur est une conséquence de la connaissance, de notre sensibilité plus fine.
Le recul, dans le premier cas, l'arrêt dans le second, est absurde, contradictoire à ce que nous a donné l'être. Sous peine de contradiction nous ne pouvons qu'adopter le choix primordial impliqué dans le monde dont nous sommes les éléments réfléchis. La raison bous indique le sens des directions de ce monde. La liberté permet de la suivre. La seule direction qui vaut est le dépassement. Scientifiquement le seul bonheur est le bonheur de croissance.
Si l'on veut être heureux en ce monde, il faut laisser les fatigués en arrière, les jouisseurs s'allonger et rejoindre ceux qui risquent l'ascension (accepté par marxistes, existentialistes thomistes, refusé par les existentialistes et phénoménologues)

2) Solution détaillée.

Dans le monde la vie est l'un des mouvements suivants : elle se dégrade ou elle s'affine. La vie va vers plus de cohérence, plus de complexité (ex : le système nerveux). La complication de l'organisation a pour effet d'approfondir le centre de l'être. La notion d'intériorité est le propre de l'humain développé. L'individu primitif n'est qu'instinct : il est relié à la Nature. Notre conscience est autonome, elle est commencement d'action. L'autonomie de l'homme est plus grande que celle de l'animal,  elle est commencement d'action car la conscience de l'homme est réfléchie.

Comment s'opère dans le détail et en fait cette marche vers la plus grande unité de soi ?
Il est possible de dépersonnaliser l'individu en en le laissant pas seul avec lui-même, par la presse, la radio etc …
Le processus de notre unification intérieure comprend trois phases :
a) se centrer sur soi.
b) se décentrer sur l'autre.
c) se centrer sur plus grand que soi.

a) Centration :
Physiquement, intellectuellement, moralement, l'homme n'est l'homme qu'à condition de se cultiver.Nous devons travailler toute notre vie à nous organiser, réaliser notre unité dans nos idées, nos sentiments et notre conduite. Être est d'abord se faire et se trouver. On ne se trouve pas par des mariages successifs par exemple.

b) Décentration :
Une tentation élémentaire guette, dès sa naissance, le centre réfléchi que nous sommes : ce sera de s'imaginer que pour grandir il faut s'isoler sur soi. Mais je ne suis pas seul sur Terre. Ce travail de centration n'est pas le propre d'un homme.
Si individualistes que soient les êtres pensants, ils ne représentent chacun qu'un des éléments d'un système auquel ils ne peuvent échapper. La physique moderne nous apprend que l'individu physique est une abstraction. L'atome est toujours dans un système . Le système n'est jamais saisi seul, il est système de … Les individus ne sont pas seuls, ils se définissent à partir d'un système. Physiquement et ethnologiquement, l'humanité est un système plural.Il est impossible de progresser jusqu'au bout de soi, même sans sortir de soi pour s'unir aux autres. S'unir aux autres permet un surcroit de conscience. La loi de complexité est importante : un ensemble très complexe est par des liens nécessaires, non par des éléments juxtaposés. Par exemple, l'amour nous pousse à associer notre centre individuel avec d'autres. On se complète l'un l'autre dans un couple.

c)Surcentration :
Pour être pleinement nous-mêmes il faut élargir la base de notre être. Une fois un petit nombre d'affections privilégiées, ce mouvement ne peut plus s'arrêter. Nous sommes aspirés toujours davantage vers des rayons plus grands. Dans le monde d'aujourd'hui, il est certain que nous sommes contraints à nous ouvrir.Cela ne signifie pas éclater ni se disperser. Ce n'est qu'à notre époque que le sens social d'appartenance à une seule humanité a pris une signification. Il semble que malgré et peut-être même par les guerres, un rapprochement se soit produit. Il est même dû à la surpopulation et la technique.
Constatons que :
- sous la pression d'une population accrue et de liaisons économiques nous ne formons plus qu'un corps.
- dans ce corps que commence à faire l'humanité, par suite de l'établissement progressif d'un système unificateur de science (Σ), de technique, nos pensées tendent de plus en plus à fonctionner comme les cellules d'un même cerveau. Il s'agit de faire bloc avec toutes les autres existences. Dans ce sens il n'est pas possible de se désintéresser de la politique.


Conclusion.

La vie nous demande de nous incorporer, de nous subordonner à une totalité organisée dont nous ne sommes, sur le plan cosmique, que des parcelles conscientes. C'est bien sûr de développer soi-même, se donner à un autre, mais aussi ramener sa vie à un plus grand que soi. Être, aimer, adorer, doivent être les trois mouvements, les trois phases de la personnalisation.(jusque 6 ans : égocentrisme, 6-11 ans : objectivisme, puberté : repli, adolescence : idées nouvelles, adulte : prise de position).


Vérification.

Le bonheur de grandir (chez l'enfant), de se compléter intellectuellement … est vécu, de même que le bonheur de se joindre aux autres. Mais le bonheur de s'immerger, de se perdre dans plus grand que soi n'est il pas la pleine spéculation, une illumination ? Qui s'en soucie dans le monde matérialiste et positiviste où nous sommes ? Cette visée de l'avenir n'est elle pas utilisée par d'autres ? (Clergé).
Il faut citer les Curie, Saint-Exupéry, pour qui une vie n'a pas de valeur si elle ne fait pas partie d'un édifice. Le stade de surcentration est particulièrement atteint chez l'alpiniste, l'aviateur, les hommes qui meurent pour une idée.


Règle du bonheur .

La vie la peine d'être vécue si le bonheur est atteint par :
- édification (unification) de soi-même.
- union de notre être avec des égaux.
- subordination de notre vie à une plus grande que la nôtre.

Il faut :
- réagir contre la tendance au moindre effort, l'éparpillement.
- réagir contre l'égoïsme dont la conséquence est :
de se fermer sur soi-même
de réduire l'autre à l'esclavage.
- transporter l'intérêt final de nos existences dans la marche et le succès du monde autour de nous, sinon il n'y aura pas de joie stable. L'axiome c'est de faire grandement les petites choses. Pour se donner à fond il faut adorer, ce qui est possible indépendamment de l'amour. Mais il n'est peut-être pas possible d'être une collectivité impersonnelle. L'amour de l'humanité peut entraîner des violences. C'est pourquoi il est possible de rechercher un sommet qui puisse être amiable.C'est ici que se situerait la voyance en un Dieu vivant qui serait la tête de l'humanité, qui ne vivrait que et par cette humanité.



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